La commémoration des 200 ans de la bataille de Waterloo demain 18 juin 2015, est certainement un des exemples frappants de la maladie qui touche l'enseignement de l'histoire depuis maintenant des décennies.
Il y a 10 ans, l'Angleterre célébrait avec faste et sans arrières pensées, les 200 ans de la bataille de Trafalgar. Ce jour là, une centaine de bateaux, 25000 marins, des représentants de 35 nations (sauf la France!) convergeaient vers la capitale de la Perfide Albion afin de se souvenir d'une victoire très funeste pour nous[1].
Quelques semaines plus tard, en République Tchèque, à Austerlitz, les commémorations, doublées d'une reconstitution de la bataille[2] qui assoit la domination de Napoléon Ier sur l'Europe le 2 décembre 1805, sont l'occasion, une nouvelle fois pour la France de briller par son absence.
Demain, à quelques centaines de kilomètres de là, en Belgique, sur cette "morne plaine"[3] dont parlait Hugo, des milliers de figurants seront présents pour se rappeler de la folie des hommes et de la chute de l'empire napoléonien. Et tandis qu'ici où là, des médias rapportent que ces célébrations seront surtout l'occasion pour le gotha européen et les familles régnantes de venir parader, une question, à peine évoquée: quid de la participation de la France et de son président?
«Napoléon reste un personnage historique controversé, et il l’est aussi en France. Alors les autorités françaises préfèrent s’abstenir. En se disant que, quelle que soit leur position, elle leur sera de toute façon reprochée »[4]. Voici comment les organisateurs justifient l'absence de la France à cet événement. Tout au plus la présence de l'ambassadeur de France fera taire, peut être, l'émoi suscité à l'étranger par cette absence. On pourra aussi justifier cela par la présence du chef de l'état à sa présence ô combien indispensable à la commémoration du 18 juin 1940 au Mont Valérien.
Comme le disait le général prussien Blücher au chef d'Etat major Shamhost, le 5 janvier 1813 en réaction à la présence française dans des territoires "allemands" : "j'ai des démangeaisons dans les doigts tellement j'ai envie de saisir mon sabre".
En effet, comment ne peut-on pas regretter la persistance de cette cécité actuelle en ce qui concerne tous les faits et événements se rapprochant de près ou de loin à l'époque napoléonienne?
On m'objectera peut-être que la République ne doit pas célébrer ou commémorer des événements relatifs à celui que certains républicains zélés présentent comme le tyran qui a trahi les idéaux de la 1ère République[5].
Pour y répondre, il faudrait peut être se référer à un républicain de valeur, Clemenceau qui, en parlant de la Révolution et refusant de faire la distinction entre bons et mauvais révolutionnaires, expliquait à l'assemblée que la "Révolution est un bloc"[6]. Ne peut-on pas considérer que l'épopée napoléonienne, du coup d'état de Brumaire à Waterloo est aussi un bloc dont il est possible de séparer le bon grain de l'ivraie?
On m'objectera aussi sûrement que les français ont d'autres priorités que d'entendre parler, de commémorer ou de se souvenirs de la grande boucherie que représentent les guerres napoléoniennes. Soit mais alors pourquoi commémore-t-on des batailles autrement plus meurtrières des deux guerres mondiales? Car celles-ci nous semblent plus proches?
J'ai la faiblesse de penser (et je ne prétends pas avoir raison! je ne peux pas simplement raisonner sans arriver à ce constat) que cette histoire et symptomatique des maux dont souffrent l'enseignement de l'histoire en France et de la société française en général.
Le principal d'entre eux est, à mon sens, non pas forcément un sentiment de honte par rapport à certains événements de notre passé, mais une défiance certaine. Les différents programmes élaborés au fil des décennies passées ont permis de mieux appréhender certains traumatismes de notre histoire française et européenne (la traite négrière et l'esclavage, le génocide juif etc..), mais aussi une certaine ouverture sur le monde et les autres civilisations: tout ceci est certainement un progrès. Dans le même temps, il semble que parler du temps où la France dominait l'Europe devient plus difficile.
(Je n'aborde même l'élaboration des nouveaux programmes de 2016 dans la mesure où ceux-ci semblent être encore susceptibles de changements.)
Je crois qu'au delà des apports de la période napoléonienne et des critiques que l'on peut objectivement lui apporter, l'absence de la France aux commémorations de Waterloo ne favorise qu'une seule chose: l'ignorance. A une époque où la France essaye de regarder son passé en face, il est très troublant et regrettable, pour un modeste professeur d'histoire, que la République souhaite éluder cette partie de l'histoire de France.
P.S : Je tiens à préciser qu'ayant écrit ceci d'une traite je m'excuse pour les quelques coquilles ou autres petites fautes qui, peut-être, se glisseraient à une heure tardive sur cette page.
J'ai choisi de faire court (si si) et pourtant il aurait été utile d'évoquer l'importance, à mes yeux, du récit dans l'apprentissage de l'histoire; de l'importance de la construction d'une histoire commune avec nos élèves car à ce titre, notre matière a plus qu'une autre, un rôle dans la construction de l'identité des futurs citoyens français. Cette identité française ne peut se construire sans la conscience d'appartenir à une nation dont l'histoire est riche, controversée, mais que l'on ne doit pas à cet égard, en oublier les aspects de sa grandeur.
Jérôme Broissard
[1] : http://www.telegraph.co.uk/news/uknews/1492558/200-years-after-Nelsons-victory-the-worlds-navies-celebrate-Trafalgar.html.
[3] : V. Hugo, "l'expiation", les châtiments.
[4] : http://www.lavenir.net/cnt/DMF20150616_00665347
[5] : Voir à ce sujet l'ouvrage de L. Jospin, le Mal napoléonien. Etonnant de voir