Romain rend hommage à l’oncle de sa grand-mère maternelle.
On a tous, plus ou moins dans nos familles un ancêtre qui fut acteur de son époque. La Seconde Guerre Mondiale comme d’autres évènements d’importance a donné son lot de héros souvent discrets, de ceux dont le nom n’est pas inscrit en lettres d’or sur des monuments, pas même cités dans les livres d’Histoire. Leur souvenir peu à peu s’efface, au fil du temps, si le flambeau de la mémoire n’est pas repris par leurs descendants. C’est le cas de Romain, et de sa famille qui conservent pieusement le souvenir de leur grand-oncle. Comme dans beaucoup de familles, les récits des exploits de cet ancêtre se sont transmis oralement, puis, la nécessité de coucher sur le papier les faits a vu le jour chez son frère René, plus de cinquante ans après. Quelques feuilles tapées puis classées dans un trieur sont le précieux récit d’une vie trop courte, brisée, marquée du sceau de Résistance, de la volonté farouche de sortir sa patrie des griffes de l’Occupant, mais aussi de l’emprisonnement, de la souffrance physique et morale. Un destin parmi tant d’autres en ces temps troublés de la guerre, mais un héros quand même pour une famille reconnaissante. Pas qu’un nom gravé au monument aux morts de son village : il s’appelait Jean TRONQUOY
Jean TRONQUOY (1921-1945). Eléments de biographie.
Jean René Tronquoy est né le 25 Juillet 1921 à Vauxbuin , aux portes de Soissons ; dans l’Aisne . Troisième garçon d’une famille de 7 enfants ; son père avait une entreprise de peinture en bâtiment et son grand-père maternel avait été instituteur. Avant guerre, il fit ses études à Soissons à l’Ecole Catholique St-Georges (Ecole de garçons). Sans que l’on sache la nature de ses diplômes, il est fort à parier qu’il y eut une solide formation comme en attestent ses qualités littéraires dont il sera question après. C’était un jeune homme doux et d’une grande gentillesse.
Puis, alors que Jean n’avait que 18 ans, la guerre éclata. Il n’attendit pas d’avoir 20 ans pour s’engager dans la Résistance locale, « animé par un grand amour pour sa Patrie » comme l’écrira son frère René, pour « une France forte que tout le monde aime et respecte ». Ses actions, qui, restent pour l’heure mal connues, lui valurent d’être inquiété et recherché par les autorités d’Occupation.
Jean, alors à peine âgé de 19 ans fit une première tentative pour rejoindre les forces gaullistes par l’Espagne. Mais ce fut un échec. Revenu à son point de départ, clandestin et démuni, il dut se débrouillé pour survivre, allant jusqu’à vendre ses livres et ses effets personnels et tenter de travailler.
Aussi, en 1941 toujours animé par une volonté farouche de servir son pays, Jean quitta le Soissonnais et s’engagea en Afrique du Nord où très vite il réussit à rallier quelques camarades pour continuer à mener la lutte.
C’est à la base aérienne de La Sénia située à 10 kms d’Oran en Algérie que se trouve alors Jean Tronquoy.
« La base de La Sénia était relativement importante. Elle comportait une longue lignée de hangars à l'extrémité de laquelle se trouvait le Poste de Commandement.
La piste était une grande surface dégagée et sans aucune végétation. Elle était bordée, vers le sud, d'un important lac salé, la Sebkra, qui nous séparait de la base de Tafaraoui occupée par l'aéronavale.
En regardant au loin on voyait, à l'horizon, les contreforts bleutés de massifs montagneux. Derrière les hangars se trouvaient les casernements. C'était de très beaux bâtiments neufs construits dans le style du pays »
Pour beaucoup d'entre nous, jeunes quinquagénaires ou même sexagénaires avancés... la période de la dernière guerre n'a pas laissé beaucoup de souvenirs détaillés dans nos mémoires défai...
A consulter pour plus d'infos. Un parcours semblable à celui de Jean.
Le 3 Août 1941 ; Jean et ses 3 camarades, profitant d’une permission de 24 h, eurent l’intention de rejoindre l’Armée du Général De Gaulle. Malheureusement , leur tentative échoua et les 4 hommes furent arrêtés et condamnés à de lourdes peines ; accusés et rendus coupables de trahison. La Cour Martiale les condamna le 27 Mars 1942 à mort pour ses camarades, à cinq ans de travaux forcés et d’interdiction de séjour ainsi que la dégradation militaire et civique et la confiscation de tous ses biens présents et futurs au profit de la Nation pour Jean.
Il faudra attendre le 7 Janvier 1944 pour que la Chambre de Révision de la Cour d’Appel d’Alger annule le jugement.
Ainsi durant deux ans et demi, Jean TRONQUOY connut la captivité avec ses indicibles souffrances, emmené de prisons en prisons.
A près un mois et demi d’interrogatoire, ce fut d’abord la Prison Militaire d’Oran jusqu’en janvier 1942. Puis après le jugement ;
Jean fut envoyé au Maroc, au nord de Fès d’abord, puis à Port Lyautey (aujourd’hui Kénitra) jusqu’en Août 1942. Ses conditions de détention y étaient moins dures, mais cela ne dura pas, par décision de P.Laval, ,les détenus gaullistes condamnés en Algérie durent y retourner. Ce que fit Jean le 30 Août 1942.
Il fut incarcéré à la prison civile d’Oran, puis à la centrale de Maison Carrée ( aujourd’hui El Harrach à 12 km à l’est d’Alger)
Enfin ce fut la prison de LAMBESE de laquelle fut libéré en janvier 1943. Après plus de deux ans d’incarcération, Jean retrouva la liberté , du moins en apparence car on le poussa à intégrer l’armée du Général GIRAUD. Celui-ci ; ayant sous ses ordres l’Armée d’Afrique engagée aux côtés des Alliés, mais sans lien avec la France Libre et De Gaulle dont il était d’ailleurs considéré comme le rival, encore trop près du Régime de Vichy. Jean déserta alors de cette armée pour rejoindre les :
F.A.F.L. : Forces Aériennes Françaises Libres
Jean Tronquoy, n’en a alors pas fini avec son engagement, malgré les souffrances endurées qui auraient pu le faire abandonner. On retrouve Jean à Boufarik (35 Km d’Ager, 15 de Blida) en avril 1943.
Puis, courant 1944 Jean intègre les F.A.F.L. au Moyen-Orient en particulier l’école de pilotage du groupe d’écoles n°11 de RAYAK en Syrie (aujourd’hui au Liban).Là, depuis 1941, la France Libre y dispose d’un groupe de chasse. Il y passe son brevet militaire de pilote d’avion en Octobre 1944.
Sa présence en Syrie, permit à Jean de rencontrer sa « marraine de guerre » avec qui il visita DAMAS.
C’est au poste de pilotage d’un Dewoitine 520 que Jean, devenu sergent, trouva la mort en service aérien commandé le 29 Mai 1945 à 8h, au dessus de Meknès. Il n’avait que 23 ans. Réalisant des acrobaties avec son appareil, il ne put le redresser et celui-ci s’écrasa. C’est du moins ce qui s’est alors dit. Connaîtra-t-on un jour les circonstances exactes ? Comble d’ironie, Jean devait rentrer en France un mois plus tard. La fin de la guerre venait d’être signée le 8 mai….
La nouvelle de son décès causa un choc terrible dans la famille de Jean. Sa mère fit un malaise qui, semble avoir causé sa disparition quelques mois après en 1946 .
Son corps fut rapatrié à Vauxbuin en 1949. Il y repose auprès de sa mère Suzanne née Faglin et de son père Marius décédé en 1964.Son nom figure au monument aux morts de la commune.
Cité à l’ordre de l’Armée de l’air, la médaille militaire lui a été décernée à titre posthume.
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Tout au long de ces quelques années d’une jeunesse brisée en plein vol, Jean TRONQUOY écrivit des textes qui par chance et par bonheur sont parvenus jusqu’à ses descendants. Dans ces quelques pages écrites en captivité ou à sa libération, Jean y exprime, dans un langage souvent poétique, ses souffrances endurées, ses ressentiments face à une Humanité qu’il fustige. Il y évoque ses conditions inhumaines de captivité, la lâcheté de certains, sa jeunesse enfuie, ses désillusions. Mais , ses écrits sont aussi emprunts d’espoir « Un jour viendra le bonheur. Ce jour de joie suprême, qu’on attend et qu’on aime, viendra briser nos chaînes » dit-il. « Prenons courage. Oublions ces heures douloureuses, malheureuses. Les glorieuses victimes au bout de l’océan crient la liberté ».
Jean y exprime son patriotisme viscéral et son amour pour la France pour qui l’expression « mère Patrie » n’est pas un vain mot : « France, ma France, terre de nos aïeux, je crois en toi, comme ont cru mon père et ma mère ! » Un patriotisme teinté de Christianisme aussi dans ces paroles :
« Je crois au Christ qui t’aime…au Christ qui, en ce jour, voit tant de mains tendues vers lui… ».
« La justice de Dieu sera plus juste que la justice humaine. Lui me comprendra, me comprenant déjà, puisqu’il me donne ce courage qui est vraiment nécessaire en cette vie maudite »
On sent chez Jean Tronquoy la difficulté que peut avoir un être raffiné confronté à tout un peuple de geôliers , de prisonniers de droit commun, de forçats, lui, pétri de justice et d’humanité. Un être fragile jeté en pâture, conscient de ses limites physiques et mentales, poussé dans ses retranchements : « Mes idées ne viennent plus, ma mémoire m’échappe et mon cœur durcit ».
Romain , Elève de l'AEC 2015