Ce lundi 28 Août 1944 aurait pu être une journée estivale comme celle-ci ; chaude et ensoleillée, un jour de grandes vacances pour les gamins en culottes courtes du canton de Betz et d’ailleurs. Mais l’Histoire en décida autrement. En effet, pour Simon, Anne-Marie, Robert H, Josiane, et bien d’autres encore enfants ou adolescents, cette journée est restée à jamais gravée dans leur mémoire. Aujourd’hui encore, 75 ans après les faits, les souvenirs de ceux qui sont encore parmi nous restent intacts, car il s’agit d’un jour pas ordinaire, un de ceux qui marquent une vie, un jour tant attendu ; celui de la Libération de leur village, de leur canton.
Ils étaient tous là, réunis dans une unité de lieu et de temps ce 28 Août 1944 dans le canton de Betz. Ils ont assisté, excités ou amusés et certainement anxieux, au départ précipité et confus des Allemands et à l’arrivée simultanée des Alliés Américains ; porteurs de Libération, de Victoire et bien sûr de chewing-gums !
Rumeurs et attente.
Depuis déjà trois jours, les rumeurs et les nouvelles venant de Paris libérée vont bon train. L’attente d’une libération que l’on sent imminente, agite les esprits. Les Alliés Anglo-Américains débarqués presque deux mois auparavant en Normandie, progressent vers l’Est et le Nord de la France. Après la Libération de Paris, ils franchissent la Seine à la hauteur de Melun, puis poursuivent leur route vers la Marne et au-delà. Le 27 Août, les Américains sont à 15 kilomètres de Meaux.
C’est le 7ème US Corps du général Collins qui, le premier pénètre dans le département de l’Oise et en particulier dans son extrémité sud orientale[1]. Dans ce 7ème US Corps, la 3è Division blindée du brigadier général Maurice Rose entre dans les communes du canton en ce petit matin du 28 Août 1944. Dans la matinée le brigadier-général Truman E. Boudinot traverse le coin sud-est de l'Oise, s'emparant de Betz et Vaumoise avant de filer plus à l'est sur Villers-Cotterêts, bientôt suivie par des éléments de la 1 D.I. U.S. (« The Big Red One »). Ceux-ci dirigés par le général Huebner s'installent au sud-est de Betz. Suivant les tanks à quelque distance, les 1 et 9 D.I. U.S. viennent occuper les arrières et les flancs du front américain. L'action a été rapide car aucun élément allemand n'est venu s'interposer. Le 5ème US Corps prend le relais à partir du 31 Août.[2]
Ce sont les différentes ramifications de cette armée américaine qui, une à une, libèrent les communes du canton. Toutes les colonnes sont au soir du 28 à Soissons après avoir traversé le canton et passé Villers-Cotterêts. Une libération éclair pour ce qui est des avant-postes alliés. Une première colonne passe par Puisieux, Nogeon et Acy-en-Multien avant de rouler sur Betz puis Lévignen. Déjà, depuis quelques jours, de lointaines détonations se font entendre et finissent par se rapprocher : « C’était un lundi et déjà la semaine précédente, on entendait le canon tonner au loin, mais très loin. Le dimanche, on a eu nettement l’impression que le canon s’était rapproché. Après coup, j’ai su qu’il s’était rapproché d’Acy-en-Multien et de la ferme de Nogeon » se souvient Robert Leroux. Puis, au matin de ce jour fatidique, un petit avion américain survole la région ; signe que les troupes n’étaient pas loin.
Parallèlement, d’autres signes annonciateurs de la libération étaient visibles. Depuis quelques jours en effet, les Allemands sont sur le qui- vive et commencent à fuir de manière confuse et désordonnée vers le nord et l’est. Simon et ses deux copains Claude et Hubert Duchesne (les fils du maire: Pierre Duchesne) sont à Betz sur les bords de la Grivette. Ils se souviennent avoir vu les Allemands quitter au petit matin, non sans une tension palpable, la propriété du Moulin où certains cantonnaient. Gaston Pénot peintre de métier et jeune FFI est réveillé par des bruits de chenilles dans sa rue (la rue Beauxis-Lagrave) « Il commençait à faire jour, regardant à travers les persiennes, je vois des gros tanks allemands qui montaient la côte devant la maison, ils avaient des canons très longs, des soldats casqués vêtus de noir étaient debout à chaque coupole ouverte, l’un de ces tanks n’arrivaient pas à prendre le virage, son canon est venu buter sur le mur juste sous la fenêtre où je me trouvais » ; un souvenir partagé par son voisin Robert Hénin. Allemands et Américains se succèdent alors en un laps de temps très court. Certains Allemands, menaçants entrent chez les habitants en quête de nourriture et de bicyclettes.
L’arrivée des libérateurs entre prudence et circonspection.
A l’arrivée des Américains, dans un premier temps, c’est la prudence qui l’emporte. Prudence du libérateur, circonspection de la part des populations en passe d’être libérées. Ce sont souvent des villages reclus dans le silence que découvrent les soldats alliés. Méfiants, les habitants restent prostrés à leur domicile en attendant une heureuse nouvelle « Vers 9 heures, des chars allemands passèrent en vitesse dans la rue principale où était mon bureau. Chacun disparut des rues et les fenêtres et volets se fermèrent aussitôt » écrit Jean Hermant. Effectivement, la retenue est encore de mise car chacun sait ou se doute que tous les Allemands ne sont pas encore partis et que l’heure n’est pas encore à l’exultation. A Betz « Vers 9 h 30, d’autres bruits de chars dans la rue et nous vîmes, derrière les volets, s’avancer au ralenti, une petite voiture découverte, le pare-brise rabaissé, munie d’une mitrailleuse, conduite par un soldat, les cheveux blonds, la face rougeaude et suivie de trois chars. Nous ne savions pas que cette voiture était une Jeep et que les chars étaient américains. La voiture et les trois chars s’arrêtèrent et le conducteur, de son bras droit, faisait le geste de venir à lui. Aussitôt, les volets de toute la rue s’ouvrirent et tout le monde se retrouva auprès des chars, criant de joie, embrassant les soldats américains, leur offrant des bouquets fleurs » témoigne Jean Hermant.
Scènes de liesse.
Cette prudence bien compréhensible laisse alors vite la place à la joie. Les Américains sont là. S’ensuivent alors dans chacun des villages des moments de liesse, d’euphorie avec leur cortège de vivats, de fenêtres pavoisées, d’applaudissements chaleureux au passage des tanks : Un plus tard poursuit Jean Hermant : « Les chars passèrent dans Bargny en direction d’Ivors sans discontinuer de 9 h 30 à 16 heures. Impressionnant défilé de puissance avec des soldats flegmatiques, décontractés, mâchant leur chewing-gum, tels qu’on les représente maintenant dans les films à la télévision. Comme à Betz, tout Bargny était dehors, criant, hurlant sa joie, courant le long des chars, donnant des fleurs, des pommes, du cidre aux soldats qui eux nous lançaient du chocolat, des cigarettes Camel, des boîtes de conserve (nous n’en avions pas vu depuis quatre ans !). » Des scènes bien connues et abondamment relayées par la presse du moment et qui restent dans l’imaginaire collectif le symbole de la Libération de la France. Certains habitants immortalisent ces scènes en prenant de précieuses photos pour la postérité. C’est le cas à Betz avec M.Grosbois.
Pour les enfants, c’est un moment inoubliable, comme un jeu grandeur nature dépassant l’imaginaire. Liliane Camus de Lévignen avait huit ans et se souvient de l’anecdote suivante : « Un Américain m’avait hissé sur sa Jeep pour me prendre en photo car j’étais vraisemblablement à leurs yeux l’image de la petite française, blonde… Alain Rodrigue, connaîtra plus tard en 1945 le même bonheur, immortalisé par la caméra de son papa, le médecin de Betz.
Cet air de fête et cet enthousiasme ne doivent pas faire oublier que la Libération du territoire reste une reconquête. Des accrochages entre Allemands sur le départ et les Américains eurent lieu dans le canton et des scènes de combat et de mort furent aussi le décor de la Libération.
La guerre n’est pas tout à fait finie : Accrochages et combats de rue.
A Betz, Les Américains arrivent dans la matinée avant midi par la route d’Acy-en-Multien en colonnes « sur trois files ; l’une sur la route et une de chaque coté sur la plaine » précise Gaston Pénot témoin de la scène. Ils entrent par le carrefour des routes d’Acy, Etavigny et Nanteuil. Simon, douze ans à l’époque, témoigne : « Une voiture allemande qui s’était sauvée de Nanteuil arriva au même moment au carrefour. S’en est suivie une fusillade durant laquelle un monsieur ; M.Vernet [3]de Villers-Saint-Genest qui était à vélo a été abattu d’une balle dans la gorge, de même qu’un soldat allemand tué[4] ainsi que trois ou quatre blessés dans une voiture qui a pris feu. Des religieuses qui habitaient un peu plus bas dans la rue ont soigné les blessés à l’étage. C’étaient elles aussi des Polonaises ! Je me souviens qu’avec mon copain on a été voir les blessés. Après la fusillade le char américain est resté un moment, d’autres arrivèrent qui allaient eux aussi sur Lévignen. Quand le premier char a repris sa route et passa devant chez les religieuses, elles avaient mis un drapeau français et un drapeau polonais à la fenêtre. Le soldat qui était dans la tourelle qui était un Canadien d’origine polonaise les félicita ! » Les habitants découvrent alors une armée américaine cosmopolite composée de Canadiens, de Polonais, mais aussi d’afro-américains…un condensé du melting-pot de la société d’outre-Atlantique.
A Lévignen, même scénario au carrefour de la route Betz-Crépy et de la RN2 devant l’auberge des « Trois Lurons ». Anne-Marie Pardanaud (épouse de Simon), a onze ans au moment des faits et garde un souvenir marquant de la Libération pour la petite fille qu’elle était : « Il y a eu un accrochage au carrefour des « 3 Lurons » et quatre gradés ont été tués… » …" Il y a des gens du village qui les ont dépouillés ! Le lendemain à l’école on a eu de notre maître Monsieur Joly un cours de morale ! Nous, les gosses on est allés voir les cadavres en se faufilant. Je me souviens avoir vu leurs pieds, leurs bottes. » et Josiane son amie de rajouter « un Allemand qui survenait à moto fut tué par une grenade. Je me souviens de cet homme tombé avec son engin dans les jambes. Les habitants venus accueillir nos libérateurs n’ont eu que le temps de se cacher derrière les troènes de la cour de la ferme.» L’heure n’est donc pas aux effusions de joie et ses accrochages rappellent que la guerre n’est pas finie. A Lévignen, la mort d’Alfred Talon ce jour là est encore dans les mémoires. Ce jeune apprenti maçon, appartenant au réseau local de Résistance (le Groupe Ardenois) est tué à bout portant par les Allemands en retraite sur le bord de la route en revenant de Macquelines où il était allé prévenir le groupe de FFI auquel il appartenait. [5] Son nom est inscrit sur la stèle rendant hommage aux Résistants à Lévignen. Des morts parfois dues à des hasards mais aussi certainement des imprudences.
Les FFI sortent du bois
La libération des villages du canton, a comme partout ailleurs, permis la capture de prisonniers allemands par les Américains mais aussi par les FFI qui sortirent alors de leur tanière pour participer à la Libération. Souvent très jeunes, ils prirent de grands risques à traquer les quelques soldats allemands restés à la traîne. Plusieurs témoignages en attestent. A Betz, celui de Simon Nowakowski « Le fils du Maire Monsieur Duchesne ; Henri, avait une arme et quelqu’un lui a dit qu’il y avait un Allemand dans le Clos (la prairie derrière l’ancienne gendarmerie rue Beauxis-Lagrave), alors il prit son fusil et a fait prisonnier l’Allemand qui s’est rendu. Revenu à la ferme, j’ai vu Henri faire monter l’Allemand dans un char et il est parti avec les Américains. » Gaston Pénot précise que Henri lui tira dessus et le blessa à la main gauche, à la suite de quoi l’Allemand se rendit et fut mené à la gendarmerie avant d’être récupéré par les Américains.
Dans les accrochages déjà cités plus haut, quelques FFI s’illustrèrent. Le « groupe de Betz » avec Gaston Pénot[6], artisan-peintre à Betz et futur maire de la commune, Berville, R.Pareau, le Docteur Rodrigue, Dubois, Neujean, Louvel, Olivier Brisset, L.Lallier, Berches ( ingénieur Travaux Publics), le lieutenant Lesage et le chef de gendarmerie Certain qui, au soir de cette journée , prennent le commandement de toute cette petite troupe dans laquelle certains chefs se disputent la prééminence. Il s’agit du « groupe de Résistants F.N. de Betz » dirigé par le capitaine Gaston Villain dépendant du groupe « Lévignen-Gondreville Boissy-Fresnoy » lui-même affilié au sous -secteur de Crépy. Certains FFI n’hésiteront pas à s’engager auprès des Alliés pour poursuivre la lutte tels Henri DUCHESNE[7] et Emile CLEMENT de Betz.
Beaucoup de ces prisonniers allemands sont effectivement livrés aux Américains et certains connaissent la vindicte populaire. Anne-Marie Pardanaud l’a vécu enfant : « Je me souviens d’un camion non bâché avec des prisonniers allemands dans Lévignen, mais aussi d’une Jeep avec une mitrailleuse dans la petite rue qui descend à la « Sainte Vierge »[8] pendant je ne sais combien de temps. Les gens qui passaient leur crachaient dessus et leur jetaient des pierres. Cela m’avait choqué ! ».
Installation de la troupe
Après le passage rapide des premiers chars libérateurs américains, la troupe suivit et durant quelques semaines s’installe dans le canton. Certaines communes ont donc vu successivement s’installer dans leurs murs l’Armée française en 1939-40, puis allemande et enfin américaine. C’est le cas de Betz et de Lévignen courant septembre et octobre 1944.
Comme leurs prédécesseurs, les Américains prennent possession du Château de Betz (l’actuelle propriété de SM Mohammed VI), mais aussi l’autre château appelé le Moulin. D’après les souvenirs de Robert Hénin et de René Pénot, le ravitaillement était fait par voie ferrée et par la route*. A Betz, la halle de la gare avait été réquisitionnée pour stocker, notamment les fameuses Rations K[9]. D’autre part, le ravitaillement des produits de l’agriculture se faisait sur place pour la troupe et certainement aussi pour le Camp de Gondreville : «Du temps des Américains, il y avait à la propriété un jardinier « boche » avec lequel j’ai travaillé, il faisait des légumes, certainement pour le camp de Gondreville. M.Clément de la Ferme du Bois Milon donnait de la terre pour la propriété » dit Robert Hénin. On note au passage que les Américains utilisent la main d’œuvre prisonnière pour les tâches de première utilité ; jardinage, réparation, y compris la garde ! «Dans les « boches », il y avait aussi des mécaniciens. Il y avait deux gros camions de prisonniers qui venaient à Betz. Il y avait toujours quelque chose à faire, des camions à réparer. Le plus drôle c’est que certains prisonniers montaient la garde au château avec une matraque ! » ajoute-t-il amusé.
On imagine l’exaltation des jeunes garçons du canton à la présence de ces soldats et de leur matériel, ce qu’ils représentaient à leurs yeux et ce, à l’âge où l’on s’identifie à des héros. Cependant cette promiscuité avec les Américains et les FFI les pousse parfois à avoir des comportements insouciants et des idées dangereuses. Comme beaucoup de gamins de l’époque, Robert Hénin en a eu : « Je me souviens que sur le bord de la route de Betz à Crépy, il y avait des stocks d’obus disposés là. J’en avais récupéré un ! Il y en avait aussi sur la route de Bargny et de la poudre même. On en a fait sauter un, les flammes ont failli toucher les lignes à haute tension ! Plus loin il y avait une caisse avec des amorces dedans dans des petites boîtes de conserve. Toutes les munitions ; ils en avaient fait un dépôt dans un blockhaus. Des fois le dimanche on y allait traîner. Puis, ils ont fait sauter le blockhaus[10]. C’étaient des prisonniers allemands qui devaient faire ça. » Les routes parsemées de dépôts volants de munitions américaines débarquées des gares de la région (Crouy sur Ourcq, Betz…) ont marqué les esprits surtout lorsque des enfants inconscients sont victimes d’accident. C’est ce que relate Josiane Lambert : « …les Américains entreposent des tas de caisses de munitions tout au long de la route (la RN2) entre chaque peuplier. Un dépôt d’armes se trouve à 500 mètres environ de l’entrée de Boissy-Lévignen, les enfants s’y rendent, s’amusent à désamorcer les munitions et …un obus explose ! L’un d’eux perd la vue, le second a la main gauche coupée et le troisième est gravement blessé… »
Les Américains libérateurs et victorieux ne s’interdisent aucun divertissement et amusement. A Lévignen, Anne-Marie l’assure : « Quand les Américains étaient là, il y avait des bals, des fêtes, mais nous on n’y allait pas. Mon frère [11]était toujours à la guerre, engagé à poursuivre les Allemands. Pas question qu’on fasse la fête ! ». A Betz, Gaston Pénot fait allusion à un bar américain situé dans l’arrière salle de l’hôtel-restaurant « Le Cheval Blanc »orné d’une fresque murale aux motifs de pin up sans équivoque. Les soirées américaines succédèrent aux soirées allemandes…Parfois des liens se tissent entre les habitants et leurs libérateurs. Jean Hermant en fit l’expérience et raconte : « Dans les mois suivants, nous avons sympathisé avec un Américain qui était cantonné à Bargny, le capitaine Charles Rooney, qui était dans le civil attorney-at-law à Topeka (Kansas).Nous l’avons invité à notre mariage le 4 avril 1945, et comme cadeau, au dessert, il nous a apporté quelques oranges, cadeau qui fut très apprécié à l’époque, et, à l’issue du repas, il a rédigé à notre intention, au dos d’une enveloppe que je garde précieusement, le mot suivant (« C’est agréable de voir une telle vraie gaieté. Je peux dire aux amis de la France en Amérique, que la France peut encore être joyeuse et que la France ne mourra jamais ! ») Charles Rooney, Capt. US Army. »
Une épuration administrative en douceur et quelques règlements de compte.
Peu d’actes majeurs d’épuration ont lieu aux lendemains de la Libération dans l’ex- canton de Betz. Comme dans de nombreux cas de communes la volonté d’une épuration administrative se fait jour de la part des Résistants et des Comités Locaux de Libération se mettent en place. Ils sont créés entre septembre et octobre 1944. Dans le canton l’influence communiste est réelle puisque le F.N.[12] préside 7 CLL. Cette prééminence a comme conséquence l’élection de maires communistes aux élections de 1945 dont deux femmes : Marthe Plez à Betz où la transition se fit en douceur. « Pierre Duchesne, le maire…», explique l’historien Eric Dancoisne. «… était maréchaliste, en ce sens que c’est à la personnalité de Pétain, le vainqueur de Verdun, qu’il se réfère. (…) Père de famille nombreuse, ancien de «14-18 », Pierre Duchesne a prêté une attention toute particulière aux prisonniers de guerre retenus en Allemagne (…) Avec ses adjoints, il leur reversait ses indemnités d’élu, il a aussi organisé l’envoi de colis en Allemagne (…) A la Libération, le conseil municipal n’est pas inquiété par les résistants du Comité local de libération (CLL) dont la liste est menée par Gaston Villain et Gaston Pénot. « Après le départ des Allemands, Pierre Duchesne et la plupart des membres du conseil municipal ont été maintenus à leurs postes par arrêté préfectoral »[13].Le cas de Betz n’est pas isolé puisque sur les 25 conseils municipaux du canton 18 sont maintenus notamment les maires cultivateurs qui souvent ont aidé la Résistance locale en fournissant de faux-papiers, en ravitaillant les maquis ou en favorisant les opérations pick up.
Souvenirs personnels, mémoire collective.
La Libération du canton, bien que brève, n’en fut pas moins vécue avec son lot d’émotions partagées entre joie et angoisse. Des moments forts, inoubliables. Parmi ses souvenirs, il y en avait un qui tenait une place de choix dans le cœur de Robert Michon : « Mon père m’a envoyé avec un jeune voisin de Boissy-Fresnoy voir le Défilé de la Victoire à Paris en 1945. C’était fabuleux. J’ai vu de mes yeux, un régiment de chars de Leclerc et notamment le « Sergent Henri Duchesne ». Le régiment honorait son défunt. Ils avaient baptisé le char à son nom. Je l’ai vu de mes yeux ça. ». Jean Hermant garda à jamais gravé dans sa mémoire ces images de la Libération : « Longtemps après le passage des Américains, le 28 août, jusqu’en octobre, au moment des labours, j’ai eu dans les yeux l’image des traces profondes des chenilles d’un char américain dans un champ, près de la Marnière de Cuvergnon jusqu’à l’orée du bois de la route d’Ivors. Ces traces resteront pour moi les traces de la liberté : nous n’avions plus à craindre le travail forcé en Allemagne, le risque d’être pris en otage à la suite d’un attentat contre les Allemands et nous avions la faculté d’écouter librement Radio-Londres sans se cacher et sans craindre une dénonciation. Nous étions libres, grâce aux Américains.» Quant à Simon et Anne-Marie, ce sont des souvenirs d’enfance indélébiles qu’ils ne manquent pas de partager avec les plus jeunes générations. Des témoignages qui sont aujourd’hui autant de pages d’histoire.
Cet évènement, prémice de paix retrouvée, des communes du canton ont eu la volonté d’en garder la mémoire en donnant à des rues le toponyme « Libération ». Deux communes ; Acy-en-Multien et Betz se sont donc dotées d’une Rue de la Libération. A Betz, la décision est prise le 2 Septembre 1945 et la Grande Rue, artère principale du village est rebaptisée. Plus tard, comme partout ailleurs des plaques en l’honneur des victimes-civiles et militaires- sont apposées sur le monument aux morts de la commune.
La vie reprend alors peu à peu son cours, avec les difficultés quotidiennes qui perdurent encore de longs mois. Les cartes d’alimentation sont encore le quotidien des habitants du canton jusqu’en 1949.
[1] A noter que le VIIè Corps appartient à la 1ère Armée Américaine du général HODGES faisant partie elle-même du 12ème Groupe Armé du général BRADLEY
[2] Benoît COTTEREAU, Les forces alliées libèrent l'Oise (28 août - 2 septembre 1944) in Annales Historiques Compiégnoises, automne 1995, n°61-62, p 21-38
[3] Marcel VERNET : Né le 9 Mars 1904 à Crépy, ouvrier agricole, il a formé un groupe de 8 jeunes et, à leur tête, il rejoint les FFI de Betz (O.C.M.) lorsqu’il est abattu. (Source : Raymond Zerline, Pages de la Résistance n°21 Juin 2014)
[4]Soldat autrichien né à Vienne en 1919 reposant au cimetière communal de Betz du nom de Friedrich KRIVANER
[5] ALFRED TALON (FFI-OCM) : Né le 28 Novembre 1876 à Bresles, maçon à Lévignen. (Source : J.Claude Santandréa petit-fils d’Alfred Talon).
[6] Gaston PENOT (1896-1968). Artisan et artiste peintre bessin, Ancien Combattant 1914-1918, il est maire de la commune de 1959 à 1968 et conseiller municipal depuis 1937.
[7] Henri DUCHESNE (1923-1945). Etudiant à Paris, il s’engage à la Libération et rejoint la première armée deDe Lattre le 25 Septembre 1944. Il est tué à bord de son char le 2 Février 1945 à Schoemstenbach ‘Haut-Rhin).
[8] Actuelle rue du gué à Lévignen.
[9] La ration K est une ration alimentaire de combat américaine apparue durant la Seconde Guerre mondiale. Initialement prévue comme une ration quotidienne, elle est emballée individuellement pour les troupes aéroportées, les tankistes, les courriers de moto, et d'autres forces mobiles pour de courtes durées. La ration K inclut trois repas : le petit-déjeuner, le repas de midi et le souper. (Source article Wikipédia).
[10] Il s’agit du blockhaus de la Ligne Chauvineau situé dans le Bois de Macquelines (Bois entre Betz et Lévignen) qui a servi de dépôt de munitions allemandes.
[11] Il s’agit de Pierre Pardanaud ; Résistant du Groupe Ardenois de Lévignen.
[12] Le Front national, ou Front national de lutte pour la libération et l'indépendance de la France, est un mouvement de la Résistance intérieure française créé par le Parti communiste français (PCF) vers mai 1941.(Source Wikipédia)
[13] DANCOISNE Eric, « Les municipalités face au pouvoir résistant à la Libération, l’exemple du Valois, » in Annales historiques compiégnoises, n°121-122, printemps 2011.