Une fois n'est pas coutume, il faisait un temps de 11 Novembre à Vaux-Parfond pour les commémorations de l'Armistice 2019. Cette année, l'AEC était conviée à une cérémonie exceptionnelle et unique. Sous l'égide de M.Guy Provost, maire de la commune de Marolles et de Marie-Christine et Jean-Michel Clamour, habitants de Bourneville et historiens, trois plaques étaient inaugurées, deux sur le mur d'une propriété rue de la Ferté, la troisième rebaptisant cette dernière rue du nom du pilote Jean-Toussaint ISTRIA.
Une dizaine d'élèves de l'AEC ont bravé la pluie et sacrifié la grasse matinée de cette journée fériée pour se rendre à Vaux-Parfond rejoints par 5 anciens élèves Matt, Maël, Justine, Marie et Rose. C'est toujours avec plaisir que nous les retrouvons. Une fidélité qui perdure au fil du temps.
La cérémonie a commencé par un discours d'accueil de Monsieur le Maire avec présentation des invités dont des militaires et la famille Istria venue spécialement de Corse tout comme M.et Mme Mattéi (Elu de la commune de Pila Canale d'où était originaire Jean-Toussaint Istria).Ensuite les plaques furent dévoilées, une gerbe déposée avant que Marie-Christine Clamour apporte à la connaissance du public les faits historiques de la journée du 2 Juin 1918 dans le secteur de Vaux-Parfond, du Bois de Borny, la Loge aux Boeufs jusqu'à Mosloy; un territoire surplombant la vallée de l'Ourcq et la Ferté-Milon que le front séparait alors. Cet éclaircissement historique permit aux participants d'appréhender le contexte des combats de cet été 1918. Un cimetière provisoire fut d'ailleurs installé à Vaux-Parfond dans lequel plus de cent soldats furent inhumés. (voir le discours ci-dessous). Ensuite Matt, ancien élève de l'AEC, qui l'an dernier avait choisi comme sujet d'oral de Brevet l'itinéraire de Jean-Toussaint Istria, lut la dernière lettre que celui-ci écrivit à ses parents. Un moment d'émotion pour l'assemblée et en particulier pour M. et Mme Istria. Après la sonnerie aux morts et la minute de silence, les écoliers de Marolles de la classe de Mme Vincent entonnèrent la Marseillaise, accompagnés par les collégiens de l'AEC et les anciens désormais lycéens dont Rose qui joua à la flûte traversière quelques notes de l'hymne national. Pour finir, et avant que le cortège ne se dirige vers le cimetière de Marolles pour honorer les Marollais "Morts pour la France" et les soldats inhumés au carré militaire, la plaque de rue en hommage à Jean-Toussaint ISTRIA fut inaugurée par son petit-neveu ému de l'honneur rendu à son aieul. Désormais, son nom fait partie de l'histoire de la commune. Une belle victoire contre l'oubli.
Les cérémonies s'achevèrent par un vin d'honneur offert par la municipalité à la salle des fêtes.
Un grand merci aux élèves de l'AEC présents, à la Municipalité de Marolles pour son accueil et son invitation. Une mention particulière à Marie-Christine et Jean-Michel Clamour dont l'engagement pour le devoir de mémoire est total.
L'Equipe AEC
DISCOURS DE MARIE-CHRISTINE CLAMOUR
En ce printemps 1918, la rumeur d’une attaque allemande s’amplifie et gagne nos campagnes. Dès la mi-mai, Marolles et tous les villages alentours se vident de leurs habitants partis sur les routes pour un deuxième exode. La ligne de front de l’ennemi approche dangereusement. Fère-en-Tardenois tombe le 29 mai, Soissons le 30 et Château-Thierry le 1er juin. L’objectif de l’ennemi : Paris, et la revanche sur la 1ère bataille de la Marne de 1914. Au soir du 1er juin, l’armée allemande, lourdement équipée, passe la rivière de la Savières, et arrive sur Faverolles, Marizy-Sainte-Geneviève, Passy-en-Valois et Dammard.
Alerté, le 2e Corps de Cavalerie se porte dans la région. Certains régiments parcourent en quatre jours plus de 200 kilomètres marchant la nuit entière et une partie de la matinée. La lassitude est extrême, les cavaliers ne pouvant dormir que 2 ou 3 heures par jour. Mais il faut arriver à temps !
Le 1er juin, le 8e régiment de Hussards, sans avoir laissé en route ni un homme ni un cheval, arrive aux portes de La Ferté-Milon. Le colonel Moineville installe son P.C. à Vaux-Parfond.
Les comptes-rendus des officiers en ligne montrent que pendant la nuit l'ennemi a continué à s’infiltrer. Il a organisé un front qui ne laisse aucune place désormais à une contre-infiltration et ne peut être brisé que par un effort violent, une attaque montée.
Le 2 juin, la pression des troupes allemandes augmentant, le 2e Corps de Cavalerie reçoit l’ordre d’attaquer en vue de contenir l’ennemi jusqu’à l’arrivée des renforts de l’infanterie et de l’artillerie française. L’ordre est accompagné de ces quelques mots d’encouragement : « Le sort de la France dépend aujourd'hui du cœur et de la volonté de vaincre des troupes et de leurs chefs. Les Officiers de Cavalerie sauront montrer l'entrain et l'élégance qui les font tant apprécier de leurs Hommes. »
À 14h30, l’attaque est déclenchée. Le 8e Régiment de Hussards s’élance à la suite de leurs officiers en sortant à découvert du bois de Borny. Il en est de même pour le 21e Régiment de Dragons. Avant que le capitaine ait pu reconnaitre le terrain et faire prendre une formation de combat appropriée, le commandant Le Conte, entraîne les cavaliers en criant : « Il est l’heure, baïonnette au canon ! En avant ! Pour la France ! » Alors, sans hésitation, avec un entrain magnifique et un mépris complet du danger, les compagnies s’élancent sur les traces de leur chef avec la seule préoccupation d’en découdre.
Mais des tirs nourris de mitrailleuses venant de la ferme de La Loge aux Bœufs déciment rapidement les cavaliers qui ne peuvent plus progresser. Parmi les premiers atteints se trouve le commandant Le Conte qui tombe mortellement blessé. Six officiers et 96 cavaliers sont tués, blessés ou disparus lors de cette attaque. Pendant ce temps, d’autres régiments de Dragons, progressent à travers le plateau du Sépulcre et franchissent la crête Est de MOSLOY, ils tombent alors sous le feu des mitrailleuses placées à contre-pente, et sont arrêtés. Vers 20 heures, l'Artillerie allemande fait un nouveau tir sur le Buisson de BORNY. Sans doute leurs observateurs ont-ils vu arriver les régiments d’infanterie qui viennent en renfort. Rassemblés dans les bois au sud de VAUX-PARFOND, les 3e et 8e régiments de Hussards se réorganisent et ne comptent plus que 267 hommes exténués. Cette attaque fut particulièrement délicate en raison de l'état de fatigue extrême dans lequel se trouvaient les Troupes. Depuis quatre jours les hommes n'avaient pris aucun repas ; ils avaient été engagés après un raid à cheval de près de 200 kilomètres et ils étaient restés deux jours sans pouvoir être ravitaillés. L’audace des Hussards a intimidé les allemands qui se contentent de tirer toute la nuit pour empêcher les brancardiers français de ramener les morts et les blessés qui sont toujours sur le terrain.
Ce n’est que le lendemain, 3 juin, que l’ennemi, remis de sa surprise, se décide à se porter en avant. Mais dans l’intervalle une Division d’Infanterie s’est installée et avec elle de nombreux régiments d’infanterie, d’artillerie et du Génie. En ce qui nous concerne, ici à Vaux-Parfonds, c’est le 208e régiment d’infanterie qui restera jusqu’au 18 juillet, jour de l’offensive Mangin et qui réussira à tenir les positions acquises durant tout ce temps, au prix de lourdes pertes. Pendant cette période, le plateau de Vaux-Parfonds sera la cible de bombardements fréquents, et notamment de bombardements par obus à gaz.
Mais revenons au 2 juin au soir. Dans les airs durant toute la journée, des avions français venant du terrain d’aviation du Plessis-Belleville volent en direction de Neuilly-Saint-Front, bombarder les lignes allemandes. A 20 heures, l’escadrille de la BR129 achève son dernier bombardement de la journée et rentre au terrain du Plessis-Belleville. Arrivés au-dessus de Marolles, elle est soudainement prise en chasse par plusieurs Fokkers allemands. Le dernier avion de la BR129, piloté par le sous-Lieutenant Jean-Toussaint Istria effectue un demi-tour et courageusement leur fait face.
À l’arrière, le mitrailleur Pierre Charvet fait feu sur l’ennemi. Le combat est dur. Les mitrailleuses crépitent mais brusquement s’arrêtent : les rouleaux sont vides. Tout en pilotant son appareil, J-T Istria attaque avec sa mitrailleuse avant. Le combat continue, acharné. Soudain, l’avion s’enflamme. Les corps des deux hommes tombent au sol, l’avion continue sa trajectoire et s’écrase sur la commune de Troësnes. Jean-Toussaint tombera dans la cour de cette propriété et Pierre dans le champ, juste en face. Son corps ne sera retrouvé que deux semaines plus tard et inhumé dans le cimetière provisoire qui commence à s’étendre, il avait 22 ans. Jean-Toussaint Istria sera enterré sur place par ses camarades de l’escadrille, dans la cour-même de cette propriété, il avait 27 ans.
Parmi les 102 soldats inhumés dans ce cimetière provisoire, il y en avait 60 du 208e Régiment d’Infanterie, 17 du 8e Régiment de Hussards, 11 du 21e Régiment de Dragons ainsi que trois brancardiers. Ce cimetière restera à cet emplacement jusqu’en 1922. Les corps qui n’ont pas été récupérés par leur famille, reposent de nos jours à la nécropole nationale de Villers-Cotterêts. La tombe du mitrailleur Pierre Charvet s’y trouve, au 5e rang à gauche, tombe n° 465.
La dépouille de Jean-Toussaint Istria a été récupérée par sa famille et repose dans son village natal, à Pila-Canale en Corse du Sud.
Sa famille avait reçu la lettre d’adieu que Jean Toussaint avait écrit, au cas où il ne reviendrait pas de mission. Cette lettre va maintenant vous être lue par Matt…
Dernière petite anecdote de l’Histoire, mais non des moindres, 25 ans après ces faits, dans la nuit du 27 au 28 décembre 1943, il y a eu à cet endroit un parachutage d’armes pour les réseaux de la Résistance locale.
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