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10 décembre 2019 2 10 /12 /décembre /2019 17:05

Dans le cadre de nos recherches sur l'histoire du Valois, nous vous présentons dans la rubrique"Témoignages", l'interview de Mme Lucienne Cousin réalisée en 2019 chez elle au Plessis-Belleville. Aujourd'hui âgée de 90 ans, Mme Cousin (née Léocadie Pacesny) enfant arrivée de Pologne en 1930, a vécu son enfance à la ferme de Nogeon où elle subit la guerre, puis le reste de sa vie au Plessis-Belleville où elle travailla un temps chez la famille Bataille, industriels bien connus et créateurs de l'entreprise Poclain. Une page d'histoire qui couvre près d'un siècle du Valois entre agriculture et industrie, une époque entre guerre et grandes mutations économiques et paysagères de notre région.

A noter que certaines affirmations sont sujettes à caution du fait de la mémoire que le temps déforme, que certains noms de famille d'origine polonaise, recueillis oralement n'ont peut-être pas la bonne orthographe. Nous remercions Mesdames Jocelyne Bellouin et Dominique Gibert pour certaines précisions apportées au récit.

Bonne lecture

L'Equipe AEC

Je m’appelle Léocadie COUSIN née PACESNY, mais mon prénom usuel est Lucienne. Je suis née à Dobra en Pologne en 1930.

Mon père, polonais, est venu en France en 1929. Il est venu seul, car ma mère, enceinte de moi, n’avait pas le droit de venir. Il s’est installé à Marly-la-Ville près de Louvres. Ma mère l’a rejoint en mars ou avril 1930 avec moi dans un couffin. Nous avons vécu à Marly-la-Ville puis à Vémars où je suis allée à l’école. Mon père était maréchal-ferrant à la sucrerie de Villeron. Nous étions trois filles ; Irène, Geneviève et moi. Mes sœurs sont aujourd’hui décédées, la dernière au mois de septembre 2018 à l’âge de 85 ans. Mes deux sœurs étaient nées en France à Vémars. Du coup, je suis la seule polonaise. Nous sommes venues Maman et moi en France à Paris en train. C’est mon grand-père qui, avec son cheval, nous avait amené à la gare de Poznan.

Carte postale ancienne de Marly-la-ville et de la sucrerie de Villeron à Louvre. Source CPA
Carte postale ancienne de Marly-la-ville et de la sucrerie de Villeron à Louvre. Source CPA

Carte postale ancienne de Marly-la-ville et de la sucrerie de Villeron à Louvre. Source CPA

En 1936, lors des grèves, mon père a fait grève comme les autres, mais il n’en avait pas le droit. La direction, qui avait fait les papiers pour qu’il vienne en France, l’a convoqué. Le patron lui dit alors : « Jean, tu n’es pas venu ici pour faire la grève mais pour travailler. Je te laisse le temps de trouver un autre travail pour que tu restes en France, si tu n’en trouves pas, tu rentres au pays ». Comme il y avait dans le nord de la France beaucoup de Polonais et en particulier dans notre région, certains se connaissaient un peu. Il a alors demandé à l’un d’eux qui travaillait à la ferme de Nogeon de faire une lettre pour entrer à la ferme de M.Boufflers. Celui-ci accepta d’embaucher mon père et nous déménageâmes en 1937 à Nogeon. C’était un endroit miséreux, avec des paillasses en guise de lits, pas de courant en permanence, juste à certaines heures et à  dix heures du soir, il n’y en avait plus. La maison était à l’extérieur de la ferme, au carrefour de la route descendant à Bouillancy. Un peu plus bas se trouvait la D.C.A. qui donnait sur la plaine. C’est la route que je prenais pour me rendre à l’école. Face à la maison, il y avait une fontaine pour l’alimentation en eau, nous y allions pour tout le monde. Au milieu de ces maisons, il y avait une forge, des cabanes à lapins. Les toilettes étaient à l’arrière, c’était juste un trou et sans eau. Notre maison était située au milieu. Au début, à notre arrivée, nous étions dans une des premières, mais peu de temps. Par la suite, on s’est rapproché de la ferme. On sortait les bancs pour laver le linge. Derrière la maison, nous avions un jardin et maman faisait des lapins, des poules et un cochon. En Pologne, ils avaient une ferme et maman savait traire les vaches, ce qui nous a sauvé.

Vue du hameau de Nogeon (commune de Réez-Fosse-Martin) aujourd'hui. Photo AEC 2019 et photo aérienne de Bouillancy.
Vue du hameau de Nogeon (commune de Réez-Fosse-Martin) aujourd'hui. Photo AEC 2019 et photo aérienne de Bouillancy.

Vue du hameau de Nogeon (commune de Réez-Fosse-Martin) aujourd'hui. Photo AEC 2019 et photo aérienne de Bouillancy.

Pour aller à l’école, il fallait de bonnes chaussures, mais on ne nous les donnait pas ! Moi, j’avais 7 ans et je travaillais bien à l’école. J’avais un paquet d’images ! Au début, j’allais à l’école à  Bouillancy le haut. L’institutrice avait son mari qui était parti à la guerre. Elle était maire de Bouillancy avec M.Haas pour Réez-Fosse-Martin[1]. C’est elle qui distribuait les bons pour les chaussures. Ensuite, je suis allée à l’école du Bas-Bouillancy juste en face du cimetière. Le mercredi, les garçons faisaient le jardin derrière et nous, les filles, faisions de la couture. Je me souviens, il y avait Gachelin ?, elle était un peu plus âgée, au CM2, année qui prépare au certificat d’études, il y avait des filles qui avaient déjà 15 ans, il y avait aussi Jacquet. Les plus petits allaient à l’école de Bouillancy le haut, face à la ferme Vaillant, et, à partir du cours moyen, en 2ème année, on allait à Bas-Bouillancy. Il y avait 3 kms pour y aller par la route de l’aérodrome[i].

Sur cet aérodrome je sais peu de chose car nous n’avions pas le droit d’y aller. Il y avait la troupe sur la route de Réez-Fosse Martin, les champs appartenaient à M.Boufflers ainsi que la forêt où nous allions chercher du bois. On ne voyait pas beaucoup les militaires. Il y avait un bloc en ciment. Tous les soirs les avions passaient au-dessus de nos têtes, on les entendait très bien. A ma connaissance jamais un avion n’a atterri. Sur l’aérodrome, on ne voyait pas d’avion la journée, tout ce qui se passait, c’était la nuit. Nous n’entendions pas, mais nous voyions  des lampes rouges.

Puis la guerre est arrivée et les hommes sont partis. Chez les Polonais de Nogeon, les Jovatski ( ?) père et les deux fils ont été mobilisés. Mon père est parti dans les derniers car il avait trois enfants. Morawski qui en avait quatre (dont Stanislawa et son frère Adam) n’est pas parti. Il habitait la maison individuelle sur la route de Réez-Fosse-Martin.

Nous avons évacué une première fois jusqu’à Montargis[ii] avec des chevaux et des tombereaux que nous utilisions pour la moisson. Tout Nogeon est parti avec, en tête du convoi, M.Boufflers qui, avec sa voiture ouvrait la route et qui s’est toujours occupé de nous. Derrière, il y avait un tracteur, puis les Zowalski, à coté ; les Guévalski, les Pirkowski qui eux, étaient déjà âgés. Lui, était charretier donc il y avait trois ou quatre chevaux. Ils sont partis avec leurs deux filles qui avaient bien 19 ans. Je me souviens que Mme Pirkowski faisait pipi dans le tombereau tandis que son mari buvait. Du coup, les chevaux partaient dans tous les sens !  Nous avons pris des couvertures parce qu’il fallait dormir la nuit. Je suis partie avec maman et mes sœurs.

Au deuxième exode, on est allé à 6 km du front ??? à Orléans. Dans les forêts aux alentours, on abattait des arbres. Je me souviens qu’à un moment, maman et mes sœurs étaient descendues du tombereau et je décidai de m’allonger sur mon oreiller. D’un seul coup, une balle m’est passée devant ! Je suis tout de suite descendue en pleurant. J’avais dix ans et j’avais eu la peur de ma vie. Nous ne sommes pas allés plus loin et avons rebroussé chemin. M.Boufflers nous trouvait du pain tandis que nous faisions du thé dans un faitout. On y ajoutait le pain. Parfois, si on arrivait à voler une poule, on la mettait dans un sac et je la tuais contre un mur ou dans l’eau…Qu’est-ce qu’on s’est fait disputer par les Allemands ! Les filles  descendaient parfois de charrette pour conduire les chevaux. Mais, globalement, ils ne nous ont pas fait de mal. Sur le retour, on s’arrêtait dans les fermes, on dormait dans les ballots récemment moissonnés. On a mangé du pain qui était moisi, ce n’était pas très bon. Nous, les enfants, on jouait à cache-cache. Puis, on est rentré à Nogeon où nous avons retrouvé des chevaux tués et tout le monde a repris ses activités et retrouvé sa maison. Ensuite, ce fut l’Occupation.

 

[1] Il s’agit de Mme Solange BOCQUET dont le mari, Pierre était prisonnier. Ils ont fait tous deux leur carrière d’instituteurs à Bouillancy. Mme Bocquet était en réalité secrétaire de mairie pendant l’absence de son mari. Note de Jocelyne BELLOUIN

 

[i] Il s’agit du terrain militaire de Betz-Bouillancy du GC III/6

[ii] Mme Cousin semble amalgamer les deux évacuations de mai-juin 1940.

Léocadie PACESNY (Lucienne COUSIN), la vie d'une enfant polonaise  entre Nogeon et le Plessis-Belleville. Témoignage.

Quand ils sont arrivés, les Allemands se sont installés au château d’Acy. Ils n’étaient pas méchants avec nous et disaient même qu’on pouvait venir chercher de la soupe et du pain le soir . On y allait avec le pot à lait. Ils avaient des side-cars. Ceci dit, nous ne descendions pas souvent à Acy, juste lorsque nous avions besoin de ravitaillement à l’Union Commerciale ou au Caïffa. Une bouchère, qui venait de Saint-Pathus passait, elle aussi était polonaise. La ferme nous fournissait en blé et je faisais du son, de la semoule et de la farine. M.Boufflers avait des moutons et beaucoup de terres jusqu’à Acy. On ne peut pas dire  que l’on ait souffert. On avait un four dans lequel on mettait sept tourtières. A côté, il y avait Mme Grosbel (Robel ?) et Pierre Koski dont la fille est parte en Angleterre. Nous n’avions pas peur des Allemands. Quand j’allais glaner, les avions passaient au-dessus de ma tête. Les hommes avaient creusé des fossés pour se mettre à l’abri et même des escaliers pour y accéder. Notamment au moment où les Allemands fichaient le camp. Pendant ce temps, mon père était prisonnier en Allemagne, il y est resté cinq ans. D’autres de Nogeon y étaient aussi ou même en Suisse.

Quand les Américains sont arrivés, je me souviens que j’entendais des trompettes et des trompettes ! Je les ai vus descendre sur Acy et on s’est tous mis sur la descente. Ils nous ont donné des chewing-gums. Ils sont arrivés l’après-midi. On disait : «ça y est, on est sauvé, on est sauvé ! ». Tout le monde était heureux. On a vécu longtemps avec les Américains qui habitaient au château de M.Chartier au Plessis-Belleville même après le retour de mon père en 1945 qui y travaillait. Ma mère partait alors de bonne heure « faire les vaches » puis rentrait nous habiller pour aller à l’école. On partait alors à l’école avec Henri Zowalski, Jeanine, Suzanne et d’autres filles.

Arrivée de Américains à Bouillancy le 28 Août 1944. Photo Coll. M.Rakus
Arrivée de Américains à Bouillancy le 28 Août 1944. Photo Coll. M.Rakus

Arrivée de Américains à Bouillancy le 28 Août 1944. Photo Coll. M.Rakus

Mon père est rentré de captivité en mai 1945. Je me souviens que j’étais en train de biner les betteraves et maman me donnait un coup de main. Il est arrivé quand je faisais la « 2ème façon ». Il est venu me voir au champ et j’ai pleuré. Mais, la vérité est que pendant le temps où il n’avait pas été là, j’avais eu la paix. Mon père était très dur avec maman. Toute sa vie, elle a été battue. Je ne sais pas pourquoi. Elle est morte à 86 ans et a emporté son secret avec elle. Je ne comprends pas pourquoi elle est restée avec lui.  Quand il est revenu, je me suis dit : « ça y est ça va recommencer » et c’est vrai. Il est mort à 93 ans. Quand il est revenu, sont revenus aussi René Brouillet, Arnold Berjac ? de Silly le Long. Il y avait aussi les Bankowski, des gens formidables qui avaient une fille prénommée Chénati et deux fils ; Léon et Thomas. Ils vivaient dans le coin où il y a la fontaine. Mme Bankowski savait tout faire, elle remplaçait même le docteur. Elle savait mettre des ventouses, faire des piqûres et toujours au soin des gens. Pendant la guerre, ils avaient une radio et l’on y entendait les discours de De Gaulle et les messages de la Résistance. On n’y comprenait rien, mais on y allait quand même !

A son retour de captivité, mon père a quitté la ferme Boufflers et est venu ici au Plessis-Belleville et on l’a fait rentrer chez M.Paul Bataille en Août 1945. Lorsqu’il a été appelé en 1940, mon père est allé à Coëtquidan, puis il a été fait prisonnier et est parti en Allemagne dans une ferme tenue par une femme qui le logeait dans une pièce à part, qui lavait son linge et le nourrissait. Il n’était pas malheureux. De sa captivité, il en a rapporté des photos. Quant à maman, elle lui envoyait des gâteaux, elle était bonne, mais si malheureuse.

Ce sont les Bataille qui m’ont sauvé, pas mon père lorsque je suis arrivée au Plessis-Belleville. Mon père m’a placée chez eux. Il y avait Georges et Paul qui tenaient une ferme. Puis, Georges a fondé Poclain. Il m’a placée comme cuisinière, mais je n’y connaissais rien du tout, j’avais à peine 17 ans.  J’y suis allée, je n’avais pas le choix et j’y suis restée jusqu’à mon mariage. Mon père y était forgeron pour les paysans qui travaillaient pour les Bataille dans la plaine. Il réparait les socs de charrue, les lames. Mais souvent il fermait, il ne voulait pas réparer, alors, un jour M.Bataille (qui était toujours à cheval et à qui je faisais les bottes) lui dit : « Jean, ici c’est moi qui commande, ce n’est pas toi. Quand les ouvriers viennent et trouvent porte close, comment font-ils pour faire le travail que je leur ai demandé ?  Je ne peux pas te garder. Tu as une maison, (on habitait alors à côté du château-la mairie actuelle-où se trouve l’actuelle épicerie sociale). Alors, ta femme et ta fille je les garde, mais pas toi. Je ne te chasse pas de la maison, mais quand tu en auras trouvé une autre, tu pourras t’en aller». Il avait acheté un terrain pour bâtir au Plessis, rue du parc et l’a revendu. Mais il fallait qu’il trouve une autre place, car il ne s’entendait nulle part. Après Nogeon, il avait trouvé une place en usine au Blanc-Mesnil, il prenait le train tous les jours et mangeait à la cantine. Il a trouvé là-bas une maison rue Bernard Lefebvre dans un coin calme et bien placé. Il est parti dans les années 1952. Moi, je me suis mariée en 1951, puis j‘ai habité trois chez ma belle-mère. Les Bataille étaient des gens très gentils. Paul a eu trois enfants, mais sa femme est décédée au 3ème enfant. Il s’est remarié avec une femme du Havre avec qui il a eu 5 enfants. Cela faisait donc huit ! Mais un des garçons est décédé.

Mme Bataille chez qui j’étais employée était une femme impeccable. Lorsqu’on mettait la table et qu’il y avait du monde, s’il y avait un pli, il fallait prendre le fer à repasser. Mais jamais une histoire. Moi, je faisais la cuisine et servais à table. Il y avait une sonnette. Avant le repas, les convives se lavaient les mains au vestibule, puis on disait le bénédicité. C’était la haute société. Je me faisais des petits plats, les mêmes que les invités, mais que je mangeai en cuisine. Mme Bataille me disait : « Lucienne, prenez toutes les confitures que vous voulez dans l’armoire, mais surtout pas la pêche ; c’est pour monsieur ». En effet, Monsieur était déjà malade et ne tolérait pas l’acidité. Il avait déjà un rein en moins. J’ai beaucoup appris chez les Bataille et suis peu à peu devenue une bonne cuisinière. Le mercredi, je faisais des gâteaux pour la mère de Madame qui les appréciait. On les lui apportait à Paris, rue de Vaugirard. A cette époque, je ne manquais de rien. Un jour, quand je suis retournée à Nogeon voir mes copines, elles ne m’ont pas reconnu !

Au Plessis, il y avait de belles fêtes à la Pentecôte. On était très soudé et solidaire à cette époque. Avec Pierre Bataille, on a fait du théâtre, on faisait la Sainte-Catherine avec des chars. Il y avait les bals pour auxquels les mamans accompagnaient leur fille, car ce n’était pas elles qui couraient les garçons ! Il y avait aussi des jalousies. Un jour une fille a dit à mon endroit : « Ah, ces Polaks, elles nous prennent tous nos garçons ! ». On avait appris à danser la valse avec René Brouillet et ce, déjà au temps de Nogeon où on avait un gramophone sur lequel on écoutait « la valse brune », ou « les ponts de Paris ». René jouait aussi de l’accordéon. J’adorais la valse et je valsais bien. J’avais ça dans la peau ! Pour la fête du Plessis, je me faisais une belle robe.

                                                                                                               FIN

Interview publiée avec l'aimable autorisation de Mme Lucienne Cousin et de son fils Christian. Un grand merci à tous deux pour la chaleur de leur accueil et à l'intérêt porté à ce témoignage.

 

[1] Il s’agit du terrain militaire de Betz-Bouillancy du GC III/6

[1] Mme Cousin semble amalgamer les deux évacuations de mai-juin 1940.

La ferme Bataille au Plessis-Belleville. Source: Génération deux

La ferme Bataille au Plessis-Belleville. Source: Génération deux

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