UNE JEUNESSE A CUVERGNON DANS LES ANNEES 1930-1950
Je m’appelle Marie Gonçalvès et je suis arrivée à Cuvergnon en 1930. Mes parents étaient polonais. Mon nom de jeune fille est LUKASIERWICZ. Mon père Etienne, était originaire de Stary Lubretz dans l’Est de la Pologne proche de la Russie où il était né en 1888. Ils sont arrivés en France en 1923 pour travailler aussitôt la Grande Guerre. Ma mère, prénommée Bronislawa et ma tante sont arrivées en passant par la Suisse, d’abord dans le Nord chez des cultivateurs, puis à Ormoy-le-Davien chez les Ferté. Ils ont toujours travaillé dans l’agriculture. Mes parents se sont mariés en février 1926 à Ormoy-le-Davien où je suis née en septembre. J’ai toujours vécu dans la région. Mes parents sont repartis un temps en Pologne en 1928-1929 où ma troisième sœur, Eugénie est née. On est revenu ensuite en France. On était trois filles et un garçon (André, né en 1927). J’ai perdu mon père en 1946, Maman avait 46 ans. C’est à cette époque qu’on est venus à Villers-les-Potées puis à Cuvergnon (la maison à la porte blanche dans le virage). On y est restés jusqu’à ce que je me marie en septembre 1949. Avec mon mari, nous sommes restés un moment chez mes parents et on a trouvé une maison. Mon mari travaillait à la ferme Ancellin (Pierre Ancellin). Il était originaire de Bagneux dans l’Aisne (près de Soissons). Il a perdu son père à l’âge de 4 ans. C’était une famille d’origine portugaise. Il avait un frère de mon âge. Sa mère s’est remariée et une demi-sœur est née. Il est décédé en 2006.
J’ai eu cinq enfants. On a perdu notre fils Christian il y a dix-huit ans d’un cancer de la moelle osseuse en 2002. Mes filles sont toutes sur Paris, seule ma belle-fille est restée sur Rouville. Elle a deux enfants, fille et garçon.
J’ai connu mon mari à Cuvergnon juste après la guerre.
L’Exode
On a évacué une première fois à Vineuil-St-Firmin pendant trois jours, puis en 1940, on est partis jusqu’à la Loire, c’est-à-dire le moment où on a rencontré les Allemands. Tout le village est parti sauf le charron qui n’a pas voulu. Il y avait tous les ouvriers agricoles et M.Boulay qui avait une voiture et qui était boulanger à la retraite. Les Ancellin aussi en avaient une. On avait préparé les chevaux et des grands chariots à quatre roues. On avait des cages pour emporter des volailles que l’on accrochait au-dessous des chariots. On avait pris des matelas. Au bout de quelques kilomètres, on s’arrêtait pour donner du fourrage aux chevaux. On trouvait des volailles dans les fermes désertées. On faisait un feu avec quatre briques pour cuire nos aliments. Sur la Loire, les Allemands étaient de l’autre coté du pont. Alors, on est revenus, étape après étape. Je ne sais plus combien de temps on est partis. On a vu passer des avions, mais on n’a pas été visés. Par contre, pendant la guerre, des avions ont bombardé du côté de Thury alors que nous étions dans les champs. On a eu très peur. Durant l’Exode, on dormait n’importe où, dans les arbres, par terre… On restait une nuit et le lendemain, on repartait. On avait emmené du ravitaillement, mais généralement on en trouvait sur place.
La vie quotidienne sous l’Occupation.
Après 1940, mon frère et moi avons arrêté l’école car il fallait travailler. En ce temps là, il n’y avait pas les allocations familiales, c’était dur, puis mon père est décédé en 1946 et mon frère est parti à l’armée l’année suivante.
A l’école, l’institutrice était Mlle Vialatte. Elle a exercé longtemps car mes deux premiers enfants l’ont eue aussi. A cette époque, c’était une classe unique et il est arrivé qu’on soit 52 en classe. On ne parlait pas trop de la guerre. On allait à l’école jusqu’au 14 Juillet. Je me souviens qu’on cueillait du tilleul qu’on allait vendre dans le village pour avoir une cagnotte. On avait des tickets de rationnement pour le pain, la charcuterie et les légumes. On allait chercher le pain à Thury et n’avions droit qu’à une tartine par jour. Pour la charcuterie, on allait à pieds jusqu’à Crépy ou à Bouillancy où il y avait des bouchers. Tous les mercredis, avec ma mère, nous allions au marché de Crépy. On partait le matin et on revenait à midi. On peut dire qu’on n’a pas trop manqué grâce aux volailles et aux légumes du jardin.
Je ne me souviens plus des Allemands, par contre je me rappelle des prisonniers allemands qui travaillaient dans les fermes à la fin de la guerre. Certains d’entre eux sont d’ailleurs restés. La sœur de ma belle-sœur s’est par exemple mariée à un Allemand du nom de Kraus. Des cas similaires ont eu lieu à Bargny, à Baron où une petite cousine de mon mari s’est aussi mariée à un Allemand. Les prisonniers français sont rentrés, eux, en 1945-1946. Ici, à Cuvergnon, Paul BOUVIER a été fait prisonnier en Allemagne et Georges JEANNIN [1] a été tué. Il y a eu aussi le cas de M.MOULIN et son beau-frère qui se sont cachés dans la grande maison blanche. C’étaient des réfractaires au STO. Pour autant, ils n’ont jamais été inquiétés. A ma connaissance, il n’y a pas eu de Résistance ici, mais J’avais douze ans à l’époque j’étais une enfant et je ne m’intéressais pas à tout ça.
Il s’agit de Georges Victor JEANNIN né le 21 mars 1914 à Cuvergnon, Fils de Edmond Henri Léon JEANNIN et de Clémence LEGRAND. Soldat au 51ème R.I.,il est mort au combat le 26 juin 1940 à Aubigny (Ardennes). Il repose au cimetière communal.
La vie à Cuvergnon
Je me souviens qu’on peignait les murs des maisons à la chaux. On faisait les pinceaux avec de la ficelle lieuse. Dans la chaux, on délayait à l’eau et on mettait des boules de bleu. Comme dans la dernière lessive de rinçage pour que le linge soit plus clair.
A Cuvergnon, il y avait un lavoir, mais je n’y allais pas. C’était un grand bac avec à côté un plus petit pour laver. Au bord, il y avait une planche et tout le monde lavait son linge dans la même eau…Il se trouvait dans le local technique actuel. Moi, je lavais mon linge chez moi. Dehors, il y avait des bornes-fontaines. En hiver, quand l’eau des bornes gelait, on tirait de l’eau du puits situé devant chez moi. On en a fait tomber des seaux dedans ! En hiver, on ne lavait pas les draps car on n’avait rien pour les faire sécher. Dans les maisons, il n’y avait pas d’électricité et l’on s’éclairait avec des lampes pigeon ou des lampes à pétrole.
Avant guerre, il y avait pour labourer les champs des charrues à vapeur. Il y en avait une à la ferme stationnée sur la route d’Antilly. Un câble poussait la charrue. Par la suite, il y a eu des faucheuses puis des moissonneuses. J’ai commencé à travailler dans les champs à l’âge de quatorze ans. C’était dur de faire la moisson, les betteraves etc… à une époque où il n’y avait pas de machines, mais seulement nos bras. Il fallait couper les chardons, arracher les rameluches (des fleurs jaunes comme le colza) qui étaient des mauvaises herbes, mais aussi des cailloux. Je n’aimais pas du tout ça. Lors de la moisson, il fallait faire des bottes, ça faisait des rangées, puis des tas. Une botte au milieu, une de chaque côté et une au-dessus pour ne pas qu’il pleuve sur le tas. Si c’était trop mouillé, il fallait les retourner et tout recommencer. C’était du boulot ! Même chose pour ramasser les pommes de terre, les carottes, les betteraves rouges. Au bout d’un moment, on a arrêté ça. Les pommes de terre étaient envoyées par le chemin de fer par la gare d’Antilly. On en gardait stockées pour l’hiver. Les ballots de paille étaient faits à la presse et partaient aussi par le train. La nue paille (épis décortiqués) restante était utilisée pour nourrir les vaches. Elle était mélangée avec de la pulpe de betteraves. Il y avait un grand silo à coté de la route de Crépy avec une fosse. Les camions vidaient là quand il y avait la râperie. C’était la sucrerie de Vauciennes qui venait chercher les betteraves. Il y avait une main d’œuvre polonaise et belge nombreuse. Face à la ferme Ancellin, sur le côté droit de la route lorsqu’on se dirige vers Crépy, il y avait des petites baraques en briques pour les ouvriers qui étaient de campagne. On faisait des rangées de betteraves et, avec une serpe, on coupait les feuilles (la tête). Quand il gelait, on recouvrait les betteraves de feuilles pour les protéger. On les chargeait sur la place et les camions venaient les chercher. C’était un travail dur, surtout d’arracher les betteraves quand il faisait froid. Puis, les machines sont arrivées. M.Pinçon, entrepreneur de Villers-les-Potées a eu la première moissonneuse dans les années 1950. Avant, c’étaient les batteuses avec les chevaux.
Il y avait des fêtes organisées au village, elles avaient lieu dans la cour de l’école, mais aussi des manèges et des bals. On allait au cinéma à pieds jusqu’à Crépy, nous étions toute une bande. Le soir, on allait au cinéma à Betz. Il se trouvait à l’emplacement de l’actuel garage. De Cuvergnon, on y allait par le fond des bois jusqu’à Antilly par la ferme de la Clergie, puis on prenait la route de Betz.
A l’époque, il y avait une grande mare sur la place et d’autres ailleurs. On comptait alors deux cafés, l’un près de chez moi et l’autre sur la route de Thury. Ils étaient très fréquentés et l’un des deux faisait aussi mercerie et épicerie. A l’époque tout le monde allait au café. Je me souviens que dans la cour il y avait un bâtiment dans lequel il y avait un piano. On y faisait les bals. Pendant la guerre, il y est venu un animateur qui avait un singe et un boa, une sorte de petit cirque. On l’appelait « Chocolat ». Aujourd’hui, le village est mort, il n’y a plus de commerçants. Tous les samedis, les jeunes se réunissaient chez Maman. Les filles tricotaient tandis que les garçons jouaient aux cartes et ce, jusqu’à 5 heures du matin ! Des fois, mon père se levait pour aller donner à manger aux chevaux qu’ils étaient encore là. On était bien une vingtaine.
Après la guerre, il y a eu des saisonniers espagnols et italiens, mais aussi de nombreux Polonais, des Yougoslaves et des Tchèques qui travaillaient à la ferme. Leurs enfants allaient à l’école. Du jour où je suis allée à l’école, je n’ai plus parlé polonais, même mes parents se sont mis à parler français au point que Maman ne savait presque plus parler polonais à la fin.
J’ai connu toute la famille Ancellin sur quatre générations, mais aussi les Heurlier à Thury, les Mommelé à Betz, les Brisset, les Dumont à la ferme du Bois-Milon, les Garnier de Bargny ainsi que Triboulet, Bardin, Bergeron, Coulon et Lambert. Il y avait beaucoup de petites fermes à Bargny. On allait aussi à Rouvres, à Etavigny, mais pas à Acy, ni à Ivors pas plus qu’à la Villeneuve-sous-Thury. A Bouillancy, je connaissais les Rakus-Lewko, à Rouvres, l’instituteur M.Lécuyer.
Considérations culinaires
Dans ma jeunesse, on mangeait du pain et de la graisse. On n’avait que ça. On allait glaner les betteraves et il en restait dans les champs. On les nettoyait, on les coupait en morceaux et on les faisait cuire dans une grande bassine, ça faisait comme du miel. C’était roux, très roux. On mettait ça dans des bocaux et on en versait un peu dans le café pour le sucrer. C’était bon. Maman avait de la farine que le Moulin nous livrait. On faisait notre pain nous- même.
On ne faisait pas de viande rôtie, on ne faisait que de la viande au bouillon, le canard au bouillon. Maman tuait les canards et récupérait le sang. Le premier sang qui coulait, Maman mettait un peu de vinaigre dans un bol et faisait couler le sang dedans pour qu’il ne fige pas, et, dans un autre, elle faisait couler sans vinaigre. Celui-ci, on le faisait cuire dans une poêle et après dans l’eau, après quoi on le coupait en morceaux et on le faisait revenir dans la poêle. Celui avec le vinaigre était délayé dans le bouillon.
On faisait aussi de la choucroute. Pour ça, Maman coupait du chou toute la journée au couteau. Des baquets entiers. Tous les dimanches, c’était choucroute. On tuait des porcs, mais en ce temps- là, il n’y avait pas de réfrigérateurs. En revanche, on avait des saloirs, aussi on faisait beaucoup de pâtés, de saucissons, d’andouillettes etc… et de la « salsassonne » en Polonais faite avec de l’estomac. On faisait sécher le saucisson sur un morceau de bois. Sur le pâté, on mettait une couche de graisse pour le conserver, pour que la viande ne soit pas à l’air libre. Le restant était salé. Maman cuisinait à la méthode polonaise des « klouskis ». Je continue à en faire de nos jours. De la pomme de terre râpée fin, essorée, j’y ajoute un peu de farine, deux œufs, puis je retourne et fais comme des crêpes.
Marie Gonçalvès est décédée le 20 Février 2020
FIN
Témoignage recueilli par T.Abran. Cuvergnon, le 6 Avril 2017. Publié avec son aimable autorisation.
[1] Il s’agit de Georges Victor JEANNIN né le 21 mars 1914 à Cuvergnon, Fils de Edmond Henri Léon JEANNIN et de Clémence LEGRAND. Soldat au 51ème R.I.,il est mort au combat le 26 juin 1940 à Aubigny (Ardennes). Il repose au cimetière communal.
Il convient d'ajouter Henri REGNAULT né à Cuvergnon en 1918 et qui était ouvrier géomètre chez Maître Auroire à Acy-en-Multien et qui figure au monument aux morts de la commune. Marie n'en parle pas.