De septembre 1939 au printemps 1940, ont été réalisés sur la commune de Betz, cinq emplacements bétonnés pour canon AC (antichar) de 25 mm, quatre pour mitrailleuses, un emplacement pour canon de marine à l’air libre, 3000 m de fossés antichar faisant partie de la ligne de défense de Paris dite « ligne Chauvineau ». La plupart sont encore visibles. Quatre ont été détruits et l’un d’entre eux a été fortement ébranlé par l’explosion de munitions allemandes par les Américains en 1944.
La construction de la ligne Chauvineau intervient comme prévue une fois la déclaration de guerre proclamée le 2 septembre 1939. Dès le 6 du mois, les généraux en charge du dossier sont à Betz pour étudier la faisabilité du programme de défense et exposer les premiers plans (qui subiront rapidement des modifications) car ce secteur, situé au Nord Est de la ligne de défense et comprenant les groupements de Betz – Macquelines et Antilly, est favorable aux attaques de blindés. C’est pourquoi il retiendra toute l'attention du général Chauvineau qui fera de nombreuses visites sur le terrain en compagnie du général Barthe puis du Gouverneur de Paris, le général Héring. Le mois de septembre est consacré aux travaux préparatoires et à l’étude du fossé antichar. A la fin du mois, des éléments de la main d’œuvre militaire dévolue au creusement arrivent à Betz. Il s’agit de soldats du 222ème Régiment Régional de Travailleurs (22ème régiment de la 2ème région militaire soit celle d’Amiens). Ce régiment restera sur le secteur de Betz jusqu’en mars 1940. En janvier et mars 1940, le 222ème RRT édite un journal humoristique « la Gazelle »[1].
Un exemple: Le blockhaus pour canon antichar de 25 mm C101 (bloc en partie détruit par les Américains en 1944) : Le25 octobre : Piquetage, le 6 novembre : coulage du radier, le 13 : ferraillage, le 23 : bétonnage par le 217ème en 27 heures non-stop par 3 équipes. Le 3 décembre : le bloc est fini, visite satisfaite des généraux Héring et Chauvineau. Le blockhaus est entièrement fait en un mois et une semaine.
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Fin septembre et octobre, ont lieu le piquetage de différents ouvrages et l’envoi de deux pelles excavatrices pour le creusement du fossé. Les généraux multiplient les visites sur site. Le général Héring déclare le projet irréalisable, étant donné le temps dont il dispose pour en assurer l’exécution. Toutefois, ordre est donné de maintenir le tracé amorcé qu’il suffira d’orienter vers le mur du parc du château de Betz.
En octobre-novembre les travaux se poursuivent : piquetage, coulage de radiers, ferraillage et bétonnage, creusement des fossés par le 222ème RRT et le 217ème RRT et nouvelles visites d’inspection.
Le 10 novembre : creusement du fossé antichar dit « du hangar » entre la voie ferrée et la Grivette à proximité du PN 41[2].
Les premiers blocs pour canon AC sont terminés début décembre (le bloc situé entre le collège et Macquelines est terminé le 7 comme en témoigne l’inscription gravée dans le béton sur la dalle supérieure) alors que commence la réalisation, route de Macquelines, des blocs pour mitrailleuses. Au moment où le 217ème RRT est affecté ailleurs, le creusement des fossés se poursuit.
Début 1940 : arrivée et mise en place des tétraèdres, clayonnage des fossés, implantation des positions pour canons de marine en plein air et nouvelles inspections. En mars, départ du 222ème remplacé par une compagnie du 223ème RRT.
Le printemps 1940 arrive, la ligne Chauvineau n’est pas encore opérationnelle et le temps presse. En avril sont mises en place les plateformes derrière le mur du château, le réseau de barbelés, de nouveaux tétraèdres arrivent en gare de Betz et début du camouflage. Début mai, voit l’installation des premières portes (sur le bloc C101) alors que l’attaque allemande est imminente. Le 15 mai, soit cinq jours après le début de la campagne de France, les travaux sont arrêtés. S’ensuit alors la mise en place du dispositif de destruction des ponts. Deux ponceaux sur la Grivette sont concernés.
Les 17 et 18 mai ont lieu deux bombardements sur la gare de Betz[3] durant lequel un civil est tué : Ernest Lacorne : Né le 2 février 1870 à Betz, Ernest Lacorne a effectué son service militaire au 67e R.I. du 14/11/1891 au 25/09/1894, il devient sapeur pompier en 1902. Durant la Grande Guerre, il est affecté à la 9e Cie du 13e R.I.T. le 01/08/1914. Il est par la suite affecté au G.V.C. (Garde des Voies de Communication) et renvoyé dans ses foyers le 14/01/1915 étant père de 7 enfants. Il est libéré de toute obligation militaire le 10/12/1918[4].
Les travaux reprennent dans la deuxième quinzaine de mai avec l’implantation de deux canons de marine notamment à Macquelines et, le 9 juin, avec la mise en place de boucliers mobiles en bois pour arme AC.
Le 11 Juin 1940 c’est le début de la retraite du secteur.
Cependant, une faible occupation militaire semble avoir eu lieu. René Pénot, fils de Gaston, se souvient : « En 1940, des soldats sont arrivés par le train à la gare de Betz. C’étaient des Sénégalais. Ils tiraient derrière eux un canon de 25 mm et marchaient pieds nus ; les godasses pendues autour du cou. Un spectacle inédit pour les habitants de Betz !».
Les blockhaus n’étaient à priori pas tous terminés au moment de l’attaque allemande dans le secteur le 11 Juin et certainement pas tous armés. Peu de témoignages concernent le rôle joué par la ligne Chauvineau dans le secteur de Betz. D’après un ancien soldat ayant servi sur l’emplacement du canon de marine de Macquelines et revenu dans les années 1980[5], la position aurait été abandonnée par la troupe (« dans laquelle se trouvaient des éléments venus de Belgique »), fuyant par le bois de l’école en direction du sud et laissant derrière elle le canon qui ne tarda pas à être récupéré.
Après la guerre, dans les années 1945-1946, les fossés ont été remblayés et les cultivateurs indemnisés du manque à gagner occasionnés par ces travaux militaires.[6)
[1] La « Gazelle » est un journal humoristique du 222è RRT dont deux numéros sont sortis en janvier et mars 1940 de l’imprimerie située à l’étage des locaux des Ponts et Chaussées à Betz dans la Grande Rue (de la Libération).
[2] Passage à niveau 41 sur l’ancienne voie ferrée en direction d’Antilly devenue voie verte.
[3] Gaston Pénot prétend qu’il s’agit d’un bombardement d’avions italiens. « On voyait nettement les cocardes vert, blanc et rouge ». Les historiens démentent ces affirmations récurrentes.
[4] Source Mémorial Genweb.
La « Gazelle » est un journal humoristique du 222ème RRT dont deux numéros sont sortis en janvier et mars 1940 de l’imprimerie située à l’étage des locaux des Ponts et Chaussées à Betz dans la Grande Rue (de la Libération)
Fondé par le Cdt Bouilhol- qui loge au Château de Mme Vincent-, ce journal dit « humoristique et anecdotique »de 6 feuillets recto-verso est l’œuvre des soldats eux-mêmes. Le rédacteur en chef en est le lieutenant Weber. Le directeur technique : le caporal Pouget. Les dessins sont l’œuvre de Bocciarelli, Graves, Génin, A.Fitte, Marc Rey et les textes du Cdt Palefroid, d’A.Ravier (de la 2ème Cie du 3ème Bataillon), d’Andréano, Jacques Mégret, Janel avec le concours du conteur journaliste Claude Orval, ancien du 222ème. Bonnes histoires, poèmes, caricatures et bandes dessinées sont au menu de ce journal. En outre en quatrième de couverture du n°1, on trouve la liste de 77 soldats quittant le régiment en janvier ou février, affectés ailleurs ou libérés. On y apprend que des conférences étaient organisées comme par exemple celle donnée par le lieutenant Berguin, professeur au lycée Henri IV à Paris sur « l’idéologie naziste ».
"Les régiments régionaux de protection (R.R.P.) ou de travailleurs (R.R.T.) sont les descendants de l'ancienne armée territoriale supprimée par la loi de recrutement du 1er avril 1923.
A la mobilisation de 1939, chaque région militaire forme, avec les hommes des plus vieilles classes rappelées, plusieurs R.R. dont le numéro est formé par celui de la région suivi d'un chiffre d'ordre. Par exemple, le 28ème R.R. est le 8ème régiment de la 2éme région (Amiens) ou le 143ème R.R. est le 3ème régiment de la 14ème région (Lyon)."
Plus concrètement, il s’agit de soldats ayant pour beaucoup la quarantaine et davantage, autoproclamés les « tordus » et qui ne possédaient pas toujours d’uniforme règlementaire, se contentant d’être vêtus « en complet et pardessus de confection » selon les termes de Gaston Pénot.
TEMOIGNAGE DE M. Robert HENIN, né en 1927 à Betz et décédé en 2018.
-Quels souvenirs vous reste-t-il de la Ligne Chauvineau ?
« Je me souviens qu’au dessus du calvaire il y avait un gros projecteur. Au sommet de la côte (à l’angle du mur de clôture de la propriété actuelle du Roi du Maroc) l’Armée Française avait construit une cabane en flanquement de la portion de fossé antichar qui, de l’autre coté de la route allait jusqu’à celle de Bargny. Je ne sais pas si les blockhaus étaient armés, à mon avis ; je ne pense pas.»
-Où étaient logés les soldats français ?
« Les Français avaient, les premiers, logé dans le château. Il y avait aussi des officiers chez des particuliers. Par exemple ; chez le percepteur, rue des Jardins ; il y en avait un. Un jour (peut-être un jeudi) j’étais avec des copains et on traînait dans le coin. L’un d’eux nous dit que si on avait faim, on n’avait qu’à se présenter avec une gamelle à la cantine et qu’on nous donnerait à manger. Alors on y est allé. C’était des gars (les territoriaux) qui avaient des enfants. Ils étaient nombreux, il y avait pas moins de deux-cents bonshommes pour finir les tranchées (fossés antichars). Je ne les ai pas vu faire mais quand on allait au jardin (sur les Mortas une pièce de terre et un verger situés sur l’actuel terrain de football), on les voyait avec ma mère et puis c’est tout, on ne traînait pas la journée. Le fossé avait côté parc un plan vertical et coté plaine un plan incliné. Il y avait des poteaux pour retenir la terre. Il y avait beaucoup de main d’oeuvre pour construire les blockhaus. Je ne les ai pas vu construire, mais dans le verger que nous avions avec ma mère route de Macquelines, il y avait des bétonneuses. C’était assez simple, ils mettaient un sac de ciment et trois sacs de gravillons, ce n’était pas comme aujourd’hui ! Les soldats avaient installé une petite ligne de chemin de fer (sans doute type Decauville) avec des wagonnets pour transporter les matériaux jusqu’au mur du parc où il y avait un blockhaus. Ce terrain était composé d’un carré de verger et d’un carré de terre. Des tétraèdres avaient également été installés dans la rue pour barrer l’accès.»
Témoignage recueilli en 2013.
TEMOIGNAGE DE René PENOT. Fils de Gaston, René est né le 25 avril 1931 à Betz. Il avait 9 ans au début des hostilités.
« Dès les derniers mois de 1939 en parallèle de la construction des casemates du secteur de Betz-Macquelines, fut mis en place tout un dispositif en cas d’attaque allemande. Je me souviens qu’il y avait un vieux camion Berliet muni d’un groupe électrogène qui avait été installé à la grille du château (l’actuelle résidence du Roi du Maroc) en face la Mairie.
Tout près de là, à la jonction des routes de Bargny et de Crépy (au-dessus du calvaire) ; un char Renault FT17 était positionné à l’arrière du fossé anti-char qui reliait là les 2 routes. Après la campagne de juin 40, les Allemands l’ont récupéré et placé à la gare. Je me souviens que les enfants jouaient dedans !
Au même endroit (où se trouve le nouveau lotissement), l’Armée Française avait placé un projecteur de D.C.A. et une batterie de 75.Le projecteur éclairait jusqu’à Bargny et Antilly .Mais, ils n’avaient pas le droit d’allumer quand un avion allemand volait. Il y avait du matériel américain comme des détecteurs de son. Les mitrailleuses et le projecteur entraient en action ensemble.
Pour barrer les routes de Bargny et de Crépy (comme d’ailleurs toutes celles menant sur Betz) des barrages de tétraèdres avaient été placés et acheminés en train par la gare. Il y en avait deux à Macquelines, un dans Betz devant l’église (face à la pharmacie actuelle), un route d’Etavigny, un au blockhaus entre le collège et Macquelines. Des mines coupaient les routes.
Quant aux fossés anti-char qui couraient dans la plaine ; ils avaient sur un coté (le coté ami) un clayonnage fait avec des poteaux en bois pour éviter les éboulements. Ils ont été creusés par le 222ème Régiment Régional de Travailleurs (et le 217è RRT) ; des gars habillés en civil qui portaient juste un brassard. Ils abattaient des arbres, creusaient les fossés et construisaient les casemates. Ces fossés ont été nivelés en 1945-1946.
Je me souviens aussi qu’à l’emplacement du 1er terrain de football qui jouxte le collège, il y avait un blockhaus camouflé en meule de foin et dans le mur du château ; un créneau de tir ainsi qu’une plate-forme pour canon. A Macquelines, dans un bois de pommiers, en lisière de la plaine, se tenait un canon (de marine) fixé sur une « juppe » (affût) sur rotule. Des éléments venus de Belgique y étaient positionnés. Ce sont les Allemands qui l’ont embarqué. Pas très loin, dans le Bois des Ecoles, en descendant la Grivette, un appentis servait aux soldats pour faire la cuisine. C’est tout ce dont je me souviens car l’autorité militaire a proclamé l’Evacuation et je suis parti. Je n’ai donc pas beaucoup vu ces soldats français. »
L'Equipe AEC