ECHOS DE NOS VILLAGES DURANT LA SECONDE GUERRE MONDIALE
1. LEVIGNEN
Extrait du livret de Mme Josiane LAMBERT "Lévignen, mon village"
avec l'aimable autorisation de l'auteur
"La Guerre"
La "Drôle de guerre"
"Les cloches de l'église sonnent, la sirène de Crépy-en-Valois hurle dans un temps interminable.Mon Dieu, la guerre est déclarée!, les femmes pleurent, les hommes vont partir, c'est la mobilisation générale; jeunes, moins jeunes, tous les hommes partent au combat.Les femmes restent au foyer avec les enfants. Dans les fermes, ce sont les parents âgés qui prennent les directives pour diriger l'exploitation. Il faut faire face à cette situation difficile.
A Lévignen, les troupes arrivent, le Maire doit trouver pour loger le 223è Régiment d'Infanterie. Les maisons sont réquisitionnées, ces braves soldats logent partout; dans les greniers, les granges. Derrière la ferme, sous le hangar, un foyer est installé. A L'Etoile; la grande maison abrite les artilleurs. A l'Hôtel des 3 Lurons, un vieux capitaine loge avec son intendance. Au 34, rue du Valois, dans la maison inhabitée, s'installe le Major du régiment, un homme d'une grande bonté qui soigne tous les gens du village (les docteurs sont partis à la guerre).
Dans les rues; une vraie fourmillère. Chaque matin, ces hommes vêtus d'une grande capote kaki partent avec pelles et pioches dans les bois pour creuser des tranchées. Lévignen est, à ce qu'on dit, la dernière ligne de défense passive. De grandes tranchées (fossés anti-char) sont ouvertes depuis le bois de Betz jusqu'à la ferme. Elles font 5 à 6 m de large et autant de profondeur étayées avec des claies pour maintenir la terre. Arrêtées par le village, elles repartent derrière les jardins jusqu'au Bois de l'Etoile; à d'autres endroits, dans les jardins, au carrefour, dans les plaines, en bordure des bois; des blockhaus sont construits. D'aucuns existent encore.
Les habitantsdoivent peindre les carreaux des fenêtres en bleu pour le camouflage, une distribution de masques à gaz est envisagée en vue d'une guerre chimique. Il est demandé à chacunde faire des abris dans les jardins pour se protéger des bombardements; la grosse panique et l'angoisse. Puis l'hiver arrive, rigoureux très froid, 40 cm de neige; la malchance est avec nous, le froid intense dure plusieurs semaines. Les soldats mal logés ont froid....
Un "régiment de tordus" disait mon père, mal chaussés (avec des sabots), mal vêtus, à part les pelles et les pioches, je n'ai vu aucun de ces hommes armés!"
Le printemps est là, Lévignen est calme, cependant dans l'Est du pays les combats font rage et s'accentuent, les soldats qui occupent le village sont relevés et des artilleurs sénégalais les remplacent.Ces hommes de couleur font peur.
La Campagne de France.
Les avions allemands et italiens sont constamment au-dessus de nos têtes. Mon papa qui travaille à Nanteuil fait la route à vélo, il s'est jeté plusieurs fois dans le fossé pour éviter la mitraille.La situation se gâte, maman très apeurée ne vit plus.Mes parents décident de partir pour Angoulême chez les grands-parents. Voyage scabreux, difficile, les gares sont envahies, les trains plus que complets; nous partons en mai et ne revenons qu'en août.
Pendant ce temps, Lévignen est bombardé, une bombe tombe au pied de l'église et l'ébranle fortement, les meneaux s'écartent des murs. Tous les vitraux se brisent, de grosses fissures apparaissent, une partie du toit est enlevée...
Une seconde bombe échoue dans la cour de la maison du garde-champêtre, sa femme blessée décède des suites de ses blessures. Une troisième incendie un hangar situé dans la ferme St-Thomas. La patronne des 3 Lurons est blessée en se précipitant dans sa cave. Apeurés, les habitants décident de partir, aménagent des chariots, préparent des baluchons pour le départ....
L'Occupation
Maintenant il faut vivre avec l'occupant: couvre-feu à 21H, des motards passent et veillent .Sur la route de Crépy, une allée de platanes recouvre la route du chemin de Rouville. A 100m dans le champ, les Allemands placennt un mirador et de cet endroit les environs sont supervisés. Tout ce qui se passe sur la route est contrôlé, il faut demander un laisser-passer pour les déplacements.
Là commencent les privations. Des tickets de rationnement sont distribués et chaque personne selon son âge a sa carte avec sa catégorie J1 , J2, J3 travailleurs de force, avec la quantité de denrée attribuée; 100gr de beurre par mois, un quart de litre de lait, même à la ferme le lait est rationné, plus de sucre, d'huile, de café, de tabac, les vêtements et les chaussures sont introuvables.
Ils réquisitionnent les chevaux, les voitures, prennent le zinc qui se trouvent sur les bars dans les cafés(...) même pour les vélos il est impossible de trouver un pneu ou une chambre à air...
Dans l'autre sens, les Anglais et Américains cherchent à détruire les bases allemandes. C'est à leur tour de survoler en rase motte nos villages, nos villes. Crépy-en-Valois déplore leurs attaques qui détruisent encore. Sur la route de Gondreville, une allée de platanes couvre toute la route. Les convois allemands y stationnent en s'abritant sous les feuillus; les avions double-fuselage surgissent en trombe, mitraillent,incendient les camions. Je me souviens qu'en partant avec une équipe de moissonneurs, nous avons connu la peur de notre vie. En plein champ, trois avions ont piqué sur nous, les chevaux se sont emballés, instinctivement, nous nous sommes plaqués à plat ventre dans le chariot et avons crié. Reconnaissant leur erreur, les avions ont repris de l'altitude. Ces moments sont inoubliables.
A Boissy-Lévignen, la fille du cafetier entend les avions arriver, elle sort, monte sur une table et agite un linge blanc; trop tard c'est la mitraille; elle est blessée, une balle l'a touchée aux reins...
A Lévignen, un avion américain passe en flamme au dessus du village (je ne peux expliquer l'effet de peur que cela représente).Il tombe à la lisière du bois de Boissy...
Les gens craignent les occupants, les traites dénoncent, il ne faut rien dire et se méfier. Le 15 Août 1944, Lévignen est en transe, le garde-champêtre a dévoilé l'existence du maquis aux Allemands. Le maire se retrouve entre 2 SS: "Monsieur, dans votre village il y a des résistants". Emmené à la mairie, ce brave homme doit se justifier. Renseigné, les armes cachées dans le cimetière doivent être retirées. La nuit venue, des jeunes se livrent à cette délicate opération, une fausse manoeuvre blesse mortellement un jeune garçon de 24 ans d'une décharge de mitraillette. Ces obsèques se font dans l'intimité, personne n'ose se rendre au cimetière.
Le nom du chef est donné, c'est le patron de la ferme rose. Prévenu en hâte, il se cache, la ferme est cernée, sa femme questionnée explique qu'elle ne vit plus avec son mari, se défend et déclare que celui-ci est ami avec le chef de la Kommandantur de Crépy, qu'ils se renseignent. L'ambiance est chaude, très chaude jusqu'à la Libération.
La Libération: 28 Août 1944
Dans l'après-midi, un roulement sourd se fait entendre, difficile de définir ce bruit, en quelques minutes les chars, les autos mitrailleuses escortées par de grands soldats casqués, en tenue de combat entrent dans Lévignen. Ils arrivent de la route de Betz, en même temps; un coup de feu; un Allemand est tué le long du mur de la ferme ST-Thomas.Un véhicule occupé par des Allemands armés arrive au carrefour coté Paris; c'est la bagarre, les gens venus accueillir les Américains n'ont que le temps de se coucher derrière les troënes dans la cour de la ferme, une grenade projetée explose dans la minute. De la mitraille, un jeune soldat est éventré, il gît à la porte du garage des 3 Lurons, les autres blessés, une balle perdue dans le frigidaire de la boucherie. Les libérateurs partent vers Soissons, ils achèvent un Allemand à la grenade qui survenait à moto.(...) Le soir même, des pièces d'artillerie sont placées au travers du village en vue de represailles. Nous dormons dans la cave.La nuit est agitée.Les envahisseurs partis, l'Armée Américaine occupe leur place. (...)
Note de M.Marc Pilot:
"Le motocycliste abattu était Heinrich WESSEL du St Aufklr Ers Abtl 14. Ont également perdu la vie ce jour-là : Hans de CAMP, officier du 3 Res Flak Abt 323, tué à 11H dans la rue; Reinhard DUBIAN du 3 Pz Abw 42, tué à 12H par une rafale tiré depuis un char US; Andreas EMMERICH du Inf Ers Ausb Kp 34; Ferdinand FRANK du Flg A Rgt 41; Theobald GRUNEWALD, tué la nuit; Rainer HOFMANN du Stam Kp Pz Jg Abt 4; Jose JANSSEN du Stam Kp Fl Ers Btl 103."
La Libération, certes, mais cette guerre laisse des traces après le départ des ennemis. Les Américains entreposent des tas de caisses de munitions tout le long de la route entre chaque peuplier. Un dépôt d'armes se trouve à 500m environ de l'entrée de Boissy-Lévignen, des enfants s'y rendent,s'amusent à désamorcer les munitions; un obus éclate, l'un d'eux perd la vue, un autre a la main gauche coupée, le troisième est gravement blessé. Le danger est encore partout. (...)
Les prisonniers rentrés, chacun retrouve sa place, le travail ne manque pas et dans le bâtiment, il faut reconstruire, oublier ces années noires. Le garde-champêtre qui a vendu le maquis est pendu et enterré avec les Allemands. Le traitre qui a livré le cafetier a été abattu.
Après les règlements de compte, le peuple supporte quelques années de restriction, subit le marché noir. En 1948, il est difficile de trouver vêtements et chaussures."
chaussures."