- - La guerre à Neufchelles et Crouy-sur-Ourcq, les 9, 10 et 11 juin 1940 Récit témoignage Maître Pierre Veron, avocat au barreau de Paris, commandait en 1940 la 5’ compagnie du 103’R.I. D’une vieille famille du village de Mureuil-sur-Ourcq, où il passait toutes ses vacances dans la maison de ses ancêtres, il se retrouva en pleine retraite dans cette région située aux confins des départements de 1 ’Oise, de l’Aisne et de la Seine-et-Marne.
Son récit n’a pour but que d’évoquer une page de cette triste épopée qui ne figure dans aucun livre d’histoire et qu’il est sans doute le seul témoin susceptible de rapporter pour nous laisser l’image émouvante de cet enfant du pays qui, avec ses compagnons, a maintenu l’honneur dans une armée par trop souvent diffamée. Dans la forêt d’Argonne, exactement à la Haute-Chevauchée, où il campe en réserve de G.Q.G., le 103“R. 1. (41“D.I.) s’apprête à recevoir une mission d’évidente urgence. Au petit jour du dimanche 9 juin 1940, le régiment est embarqué dans des autocars qui, en convoi, vont gagner la Mame et en suivre le cours jusqu’à Château-Thierry, survolés par une escadrille de cinq chasseurs français qui jouent le rôle de ccchiens de berger,,. La Marne franchie à Château-Thierry, vers midi, on y apprend que la destination initiale du 103“R.I. était le renforcement de la défense de l’Aisne dans la région de Soissons, mais que ce même 9 juin l’ennemi a franchi l’Aisne tôt le matin et qu’une autre mission est désormais confiée à notre unité. Le débarquement de nos autocars s’effectue au château de la Trousse, non loin de Lizy-sur-Ourcq, avec mission de marcher vers le nord. Le commandement connaît tellement mal le rythme de l’avance ennemie depuis le début de la matinée de ce même 9 juin 1940, qu’il ordonne la progression à travers champs et bois, avec <<dispositions de combat,,, comme si l’ennemi pouvait surgir d’un instant à l’autre du moindre bosquet ou repli de terrain. -
- Commence alors, en direction de Crouy-sur-Ourcq, une marche à travers champs, que les cultures non moissonnées rendent très fatigante. Au bout d’une heure, le lieutenant Pierre Veron, pour sa 5“ compagnie, décidera d’y mettre fin, pour adopter une marche sur route, mais en veillant à une progression très prudente, en file indienne très échelonnée. La Y compagnie, par Fussy, atteint Crouy dépeuplé de tous ses habitants et s’engage dans les méandres du chemin de halage du canal de l’Ourcq à destination de Neufchelles, localité qui lui est assignée comme position à occuper. Cet itinéraire est plus long mais plus sûr, car les frondaisons des peupliers qui bordent le canal mettent la troupe mieux à l’abri des vues aériennes des Stukas si redoutés. Vers la fin de l’après-midi du dimanche 9 juin 1940, l’arrivée à Neufchelles, vide de tout habitant, semble-t-il, s’effectue sans incident. Ce 9 juin, la 5‘ compagnie est privée du quart de ses effectifs : il s’agit des permissionnaires qui, après le 10 mai 1940, n’ont pu rejoindre, du fait du bombardement systématique des <<garesr égulatrices,,, détentrices (comme la poste aux armées) de d’ordre de bataille,, ... c’est-à-dire de la localisation des unités sur le terrain. C’est donc avec une compagnie réduite à une centaine d’hommes à peine que le lieutenant Pierre Veron devra faire face à sa mission. Cette mission consiste àtenir Neufchelles dans sa totalité, ainsi que le Clignon (rive gauche) depuis son embouchure dans le canal de l’Ourcq jusqu’à la commanderie de Montigny-1’ Allier, exclusivement. Neufchelles proprement dit est confiée à la 4c section qui s’installe dans le village, autour de l’église et de la ferme Quintin. Elle est commandée par le lieutenant de réserve Fistère, de Meaux, professeur agrégé d’anglais dans un lycée de Paris, et à qui son chef sait pouvoir faire toute confiance. Les autres Cléments bordent le Clignon par groupes de deux hommes, tous les 200 mètres. Pour aller se placer, ces hommes suivent le chemin de halage le long du Clignon, lequel, à cet endroit, est canalisé. Ceux de la section de mitrailleuse du sous-lieutenant Chinardet les accompagnent, à destination, plus loin, de la commanderie de Moisy a Montigny-l’Allier. Se présente alors une particularité de cet itinéraire, le franchissement de l’Ourcq par le pont-canal du Clignon, analogue, en bien plus petit, au pont-canal de Briare. Ce pont-canal comporte sur ses deux rives des berges artificielles, cctrottoirs,, trop étroits pour permettre aux voiturettes d’y poser leurs deux roues. Alors, très vite et spontanément, sans avoir reçu aucun ordre, deux des mitrailleurs du sous-lieutenant Chinardet descendent dans l’eau tout habillés et, soutenant sur l’épaule gauche le moyeu de la roue droite de chaque voiturette qui surplombe l’eau, ils assurent le franchissement de cet obstacle imprévu. Dans le regard qu’échangent à cet instant les deux officiers, il y a de la gratitude, de la confiance et de la fierté. -
- Le P.C. de la Secompagnie est tout d’abord fixé dans le <<château,, de Neufchelles, alors propriété de Monsieur François André, propriétaire des casinos de Deauville, Cannes, La Baule. Et là - découverte ! - se trouve déjà installé le P.C. d’un peloton de cavalerie - en réalité de motos - commandé par le lieutenant Perrin et appartenant à une division angevine qui dépêche ses motards en direction de la forêt de Villers-Cotterêts : Ivors, Boursonne, Coyolles. Chaque motard en revenant (ceux qui reviennent) rend compte des points du <<paysage>o>ù il a été l’objet de tirs ennemis, ce qui permet de pointer sur la carte la progression allemande depuis l’Aisne vers la Marne. Neufchelles, en ce IO juin 1940, présente deux particularités : tout d’abord, un <<fosséa nti-chars,, merveilleusement creusé, pendant l’hiver 1939-1940, de part et d’autre de la route vers Mareuil (alors N 36), se prolongeant jusqu’au canal, vers l’embouchure de la Grivette. Pour achever cet ouvrage de défense anti-chars, il ne restait plus, <<lem oment venu,,, qu’à le terminer en détruisant la route elle-même. Sans doute le commandement a-t-il estimé que <<lem oment venu,, n’était pas venu. Et le fossé anti-chars ne fut jamais complété par la destruction de la route elle-même, ce qui lui enlevait toute efficacité concevable, toute raison d’être. Qui fut responsable de cet impardonnable ccoublin ? D’autre part, pendant le même hiver, avait été constitué -sur un arc de cercle décrit au nord-est de Paris et de 70 kilomètres de rayon environun alignement de petits blockhaus, destinés à la <<défensrea pprochée de Paris,,. Il en existait plusieurs dans la région, notamment auprès du pont de Crouy, sur le canal, aux environs de Macquelines, etc. L‘un d’eux se trouvait après la sortie de Neufchelles, 2 quelques centaines de mètres 2 gauche de la route vers Mareuil, et à proximité du fossé anti-chars qu’il prenait en enfilade. La caractéristique de ces blockhaus était qu’ils n’avaient pas encore reçu le bouclier en acier destiné à obturer l’embrasure et à supporter, montées sur rotules, les armes destinées à assurer la mission de ces ouvrages. Si bien que toutes les embrasures étaient béantes. En revanche, l’ouvrage proche de Neufchelles était muni du téléphone, ce qui explique l’anecdote suivante. Le lundi 10 juin, le lieutenant Veron a reçu la visite de son chef de bataillon, venu de Crouy lui confirmer sa mission défensive <<coûteq ue coûte,, : il est environ 14 heures. Puis le chef de bataillon Henry poursuit sa route en voiture vers Mareuil, pour rejoindre Montigny-l’Allier, OÙ se trouve une autre compagnie de son bataillon (la 6“). Vingt minutes ne se sont pas écoulées depuis le départ du chef de bataillon que le lieutenant Veron est appelé au téléphone du blockaus : on veut parler personnellement <<àl’ ofticier qui commande Neufchelles.. .>> Le lieutenant entend alors son interlocuteur, qui se présente comme étant le porte-parole du commandement de la région, sans autre précision, lui intimer l’ordre de la retraite immédiate, sans discussion. -
- Comme le lieutenant Veron, vingt minutes plus tôt, a reçu de son chef direct, la mission inverse de défendre coûte que coûte Neufchelles, il en fait l’objection à son interlocuteur, qui, toujours sans donner de précision ni sur sa qualité, ni sur son identité, réitère son ordre sur un ton coléreux. Le lieutenant se déclare prêt à n’obéir qu’à un ordre écrit qui émanerait de l’autorité régulière dont il relève ... et il raccroche. Peu enclin à voir partout la cccinquième colonne,,, comme beaucoup en cette période l’ont fait, parfois sans discernement, le lieutenant Veron est singulièrement porté à considérer que ce jour là, s’étant branché - mais de quelle façon ? - sur le téléphone de campagne, un agent de la cccinquième colonne,, s’est efforcé de semer le désordre dans une unité destinée à se trouver prochainement ccau contact,>. La Ycompagnie du 103‘RI - son chef en a progressivement pris conscience en l’absence de toute information du commandement - se trouve placée à l’extrême gauche de la 41“ division - a sa tête, le général Bridoux, qui sera ministre de la Guerre du gouvernement Pétain, pendant l’occupation. Une fois partis les motards angevins et les occupants des blockhaus de la défense rapprochée de Paris, la Ycompagnie ignore - et ignorera toujours - si elle a sur sa gauche une unité française, laquelle et à quelle distance ? Beaucoup plus tard, le lieutenant Veron apprendra que des combats meurtriers ont opposé (mais quand ? Sans doute après son repli sur ordre, le 11 juin vers midi) des Cléments avancés allemands à une unité française, aux alentours de Boullarre, dans le secteur de la Grivette et du bois Pierrot, à proximité de la voie ferrée du chemin de fer du Nord dans le fossé de laquelle fut retrouvé, beaucoup plus tard, un fusil mitrailleur allemand (Muschinengewehr). Plusieurs soldats français, tombés au bois Pierrot, sont restés inhumés à Mareuil-sur-Ourcq pendant quelques années. Si les cavaliers angevins de la première heure se sont repliés sur ordre, si la défense rapprochée de Pans a cessé d’occuper ses blockhaus, sans d’ailleurs en informer qui que ce soit, en revanche Neufchelles est progressivement envahi par des fuyards qui refluent depuis la forêt de Villers-Cotterêts, presque tous appartenant au 23“régiment de marche de volontaires étrangers (RMVE). Il s’agit d’une unité profondément disparate dont les compagnies sont constituées à base de nationalités différentes : Arméniens, Polonais, Tchèques, Yougoslaves, Espagnols ... Pour beaucoup de ceux-ci le choix avait été simple : ou bien s’engager dans l’armée pour la durée de la guerre, ou bien vivre la durée de la guerre dans un camp de concentration. La pugnacité de ces unités était très variable, suivant leur composition ethnique. A leur arrivée à Neufchelles, les fuyards étaient regroupés dans la ferme Haussy, où les gendarmes de la prévôté les concentraient après les avoir désarmés. -
- Comme on s’étonnait que la plupart des groupes fussent tous dépourvus d’officiers ou de sous-officiers, la réponse était uniforme : <<Nosc hefs, il y a longtemps qu’ils ont été tués ... >>. Alors que deux heures, quatre heures ou six heures plus tard, commençaient à arriver des gradés parfois blessés, marchant à la tête d’une poignée d’hommes qui n’avaient pas <<anticipé>le> mouvement de retraite, comme leurs prédécesseurs, sur la voie du repli ... Compte tenu de la maigreur de nos effectifs en ligne, les gendarmes de la prévôté s’efforçaient de les compléter en nous proposant d’enrôler certains fuyards concentrés par leurs soins. C’est ainsi qu’une dizaine d’entre eux furent <<affectCs>2> la compagnie du lieutenant Veron. Mais au bout d’une heure, ses propres soldats firent une démarche auprès de lui, pour lui demander d’être débarrassés de ces Cléments exogènes dont les propos défaitistes portaient atteinte à leur moral de combattant. Ils préféraient être moins nombreux, mais entre eux, qui se connaissaient bien. Car le lieutenant Veron veut souligner ici que la 5” compagnie du 103‘ RI avait, depuis le début de la campagne, c’est-à-dire depuis le mois de septembre 1939, dans la forêt de Warndt en Allemagne, puis dans les intervalles de la ligne Maginot, et ensuite, fait preuve du meilleur esprit combatif et d’une discipline parfaite. Dans la soirée du lundi 10 juin 1940, un sous-officier du Génie d’une division nord-africaine vient informer le lieutenant Veron qu’il a reçu l’ordre de procéder à la destruction de trois ponts (sans doute à ce moment là le pont routier de Mareuil sur le canal était-il déjà détruit ?). Les trois ponts étaient : - celui de Neufchelles sur le canal, - celui SNCF de la ligne Paris-Reims, sur le canal, - celui dit <<duT acot>>d e la Compagnie du sud de l’Aisne (C.S.A) de Mareuil à Château-Thierry, sur le canal également. Ces trois ponts ayant sauté, force est au lieutenant Veron de transférer son modeste PC depuis le château de Neufchelles (rive droite) dans la maison du passage à niveau (rive gauche). Le garde-barrière, en se repliant, a laissé poules et canards. D’où omelettes et autres entorses à 4 ’ ordinaire,, , d’ail leurs défaillant. La nuit du 10 au 11 juin 1940 va être brève, car très tôt le matin, le lieutenant Pierre Veron est alerté par un incident qui s’est produit au cours de la nuit : une voiturette de munitions tirée par un cheval, venue par le chemin de halage, est tombée - avec son cheval - dans le canal un peu en amont du pont de Neufchelles, vis à vis du jardin du <<château>I>l .f aut à tout prix récupérer et le cheval et les munitions, et tout d’abord dételer le cheval dans l’eau, le ramener sur le chemin de halage. puis repêcher la voiturette après l’avoir déchargée des caisses de munitions.
- La pauvre bête a déjà effectué 10, 20 tentatives infructueuses. Alors que son train arrière s’appuie sur le fond du canal, la berge àbord franc est trop haute pour ses pattes de devant, età chaque tentative maintenant elle épuise ses dernières forces. Devra-t-on l’abattre ? Comme si elle avait deviné, la pauvre bête, dans un suprême effort, parvient à se hisser enfin sur la rive : là, elle demeure sur le chemin de halage, immobile, transie après plusieurs heures dans l’eau, et secouée de tremblements. Maintenant on s’affaire, dans l’eau fraîche du canal, à repêcher voiturette et munitions. Et d’abord à détacher les caisses et à les remonter. A peine commencent-elles à affleurer que, légères dans l’eau, elles révèlent leur poids dans l’air ! A grand-peine, la moitié du chargement est-elle récupérée que l’arrivée des Allemands est annoncée et qu’il faut se préparer au combat. Le repêchage est donc interrompu ; et les habitants de Neufchelles, au retour de l’exode, ont pu, je le sais, constater la présence d’une voiturette et de ses caisses, dans le canal, à proximité de la rive gauche, à 300 mètres en amont du pont. Mardi 11 juin vers 10 heures. L‘ennemi, venu de Mareuil vers Montigny-1’ Allier par la route du haut, en bordure de laquelle achèvent de se consumer un avion français abattu et le hangar Pivot, a poussé un peu trop loin ses camions au sommet de la côte qui domine Montigny. Et les fantassins allemands, quelle que soit la rapidité avec laquelle ils se précipitent pour déborder Montigny par l’est, sont repérés et tombent sous le coup des mortiers du sous-lieutenant Chinardet en batterie dans la cour de la dernière maison alors construite à gauche sur la chaussée de Montigny, à la sortie vers Crouy. Quelques Allemands sont tués. Et la tombe de l’un d’eux demeurera quelques années au sommet de la côte vers Mareuil, à droite dans le virage. Vers 12 heures, le 11 juin à Neufchelles, l’ordre survient : renoncer à défendre le passage du Clignon et se replier sur Crouy. Cet ordre de repli, le commandant de la 5“ compagnie le communiquera lui-même à chacun de ses hommes, trop d’exemples s’étant à ce sujet produits, ad’erreur,,, d’incompréhension, de méprise. En position sur la rive gauche du Clignon, les petits postes attendent d’un instant à l’autre que survienne l’ennemi, lorsqu’ils reçoivent l’ordre de se replier vers le chemin de halage du canal de l’Ourcq, en direction de Crouy. Le commandement de la compagnie vient d’apporter l’ordre à son dernier poste, juste en aval de la Commanderie, lorsque surviennent deux Allemands qui, passés sur la rive gauche, essayent d’acculer nos hommes à revers pour les jeter dans le Clignon. Leur tentative audacieuse est rapidement calmée par une ou deux rafales : ils n’insistent pas. Et le repli peut s’effectuer. Ils ne réussiront que trop bien, une heure plus tard, lorsqu’ils captureront la section de mitrailleuses du sous-lieutenant Chi- - nardet empêtrée avec ses voiturettes à chevaux sur le pont-canal du Clignon franchissant la rivière de l’Ourcq. A l’aller, la veille, des hommes sont descendus tout habillés dans le Clignon pour porter le moyeu de la roue qui surplombe l’eau. Mais le lendemain, en sens inverse, avec l’ennemi aux trousses, il n’en est pas de même. Et la section de mitrailleuses, entravée dans sa retraite, est capturée. Son chef le sous-lieutenant Chinardet, volontaire pour l’Indochine, après 5 ans de captivité, y trouvera une mort glorieuse. Ce 11 juin vers 13h30, la Secompagnie a pu se regrouper sur le chemin de halage de l’Ourcq à Neufchelles, en direction Crouy-sur-Ourcq (Seine-et-Marne). Crouy-sur-Ourcq 11 juin 1940. Il est 14h30 lorsque la 5“ compagnie - par le chemin de halage, le passage à niveau SNCF - le Champivert - entre dans Crouy-sur-Ourcq vide d’habitants, avec mission de défendre cette localité contre les entreprises ennemies. Mais par où se manifesteront-elles ? Il convient donc, avec une centaine d’hommes, de faire face dans toutes les directions. Un canon anti-chars de 37” placé dans ce qui était alors la propriété du petit séminaire de Conflans - aujourd’hui collège - est braqué en direction du passage à niveau. Quelques postes, de deux hommes chacun, font face aux lisières, vers l’ouest, à une possible attaque en provenance de la voie ferrée. Le gros des hommes (si l’on peut dire !) est affecté à la défense vers le nord-est contre un ennemi supposé venir de Montigny-l’Allier, qu’il tient depuis le matin. A cet effet des postes sont placés dans cette direction, notamment dans la dernière propriété à droite vers Montigny, dont le mur est percé de quelques meurtrières. Agréable surprise : un jeune aspirant d’une unité voisine vient se mettre à ma disposition avec un canon anti-chars de 2Smm, arme toute récente et déjà très renommée. Ma satisfaction est àpeine exprimée (et la mission expliquée) que - tout confus - ce jeune officier me fait part du contre-ordre qu’il vient de recevoir et qui le rappelle à son unité d’origine. C’en est fini du trop beau canon de 25”. Une grande heure passe. Puis l’ennemi venant de Montigny-l’Allier se manifeste par des tirs de mortier sur la partie nord-est de Crouy - tirs qui, miraculeusement, ne font pas de victimes parmi nous, mais nous ccfixent)) dans Crouy. Car tel est le but de l’ennemi : nous enfermer dans Crouy, entre la colline et l’Ourcq, et nous fermer la sortie vers l’ouest, vers Fussy, vers Ocquerre, vers Lizy, etc ... Les tirs de mortiers continuent, moyennement nourris ... C’est à ce moment que survient l’ordre officiel de repli en direction de La Fertésous- Jouarre. -
- Je donne l’ordre au sous-lieutenant J. de (<ramasser>n>o tre canon antichars et tous les hommes postés aux issues de Crouy, face à l’ouest, de les emmener avec lui vers La Ferté-sous-Jouarre, de les rassembler sur la route 2 son point d’embranchement avec celle vers Mamoue-les-Moines, et de m’attendre à ce carrefour. Pour ma part, et ensuite, je (<ramasserai>l>e reste de la compagnie et, par le même itinéraire, me dirigerai vers la Ferté-sous-Jouarre avec ce même point de rendez-vous. Pour m’assurer que mon ordre a été correctement exécuté, je parcours le Champivert et constate que notre canon antichars a été relevé. Puis je jette un coup d’oeil sur les diverses issues - et, surprise ! - constate qu’elles sont toujours tenues par les postes de défense que le sous-lieutenant J. n’a pas relevés .... et qui se trouvent (<oubliés>>, en risque de demeurer là jusqu’à ... Je les relève (dans les sentiments que l’on imagine) et les emmène avec les autres Cléments de la compagnie directement sous mes ordres. Mais pendant ce temps-là, l’ennemi a presque achevé son mouvement d’enveloppement. Et lorsque, par la route, nous approchons de la maison de retraite, sur notre gauche, nous sommes salués par un tir d’infanterie très nourri, venant de la gauche. Les Allemands sont dissimulés dans les jardins potagers, ou abondent pois et haricots à rames. Leurs tirs - sans doute à dessein - passent au dessus de nos têtes, et j’ai toujours en mémoire visuelle précise I’émiettement par les rafales de mitraillettes, du bois des poteaux télégraphiques alors, en sapin, un mètre au-dessus de nos têtes ... Nous nous jetons dans le fossé gauche de la route qui nous offre un talus d’appui de tir idéal. Et notre riposte, tirée au jugé, dans la verdure potagère, a pour effet de calmer le tir ennemi. Mais nous entendons nettement les Allemands qui nous crient, en français de nous rendre ... Finalement, d’extrême justesse, nous parvenons à nous faufiler hors de la nasse et prenons le chemin de Fussy et au-delà, c’est à dire le même en sens inverse que deux jours plus tôt, le dimanche 9 juin. En même temps que je m’éloigne de l’agglomération avec ma compagnie, mon attention est attirée par l’un de mes hommes qui, à plat ventre dans un petit chemin creux, tire au fusil sur les Allemands qui, parallèlement à notre retraite, sur notre gauche, courent pour tenter encore de nous couper la route. Pour ce faire, il leur arrive de devoir sauter en courant par-dessus fossés, sentiers, ou chemins creux. Et notre homme, un véritable tas de cartouches a portée de la main, de tirer les ennemis au vol, alors qu’ils sautent. Je lui représente que l’ordre de repli a été donné, qu’il doit se joindre aux autres Cléments de la compagnie en retraite, qu’il n’a pas qualité pour faire, à son seul gré, la guerre au <<IIIeReich>etc,. .. etc. .. Il ne veut rien entendre, me signalant 2 chacun de ses coups de feu le beau (<carton>q>u ’il a réussi - ou manqué ... Ce garçon, fraîchement arrivé à la compagnie, avait été caporal -cassé ! - dans la Légion - J’ai appris qu’il aurait été enterré à Vendrest. A l’embranchement à droite, vers Marnoue-les-Moines, il y a au bord de la route un hangar avec encore de la paille. Nous décidons d’y prendre quelques heures de repos, avant de continuer vers la Marne, tout en surveillant très sérieusement une éventuelle poursuite ennemie depuis Crouy (le bruit a couru, mais non vérifié, que des Cléments allemands, motorisés, seraient venus jusqu’au virage le plus proche du hangar sans insister davantage). Personnellement j’ai reçu 18 l’ordre confirmatif du repli au-delà du pont du Mémorial dans la Ferté-sous-Jouarre. Je veux alors m’assurer auprès de la compagnie voisine, à ma droite (la 9e, mon ancienne compagnie, celle de la forêt de Warndt) que son chef a bien reçu le même ordre et le prévenir qu’en tout cas mon départ sur ordre va laisser son flanc gauche à découvert. Il s’est alors retranché dans un petit bois à quelques centaines de mètres à l’est de mon propre emplacement, c’est-à-dire du hangar de Marnoue. Et il me dit que, pour sa part, il n’entend pas se replier, n’ayant pas reçu personnellement d’ordre en ce sens destiné à sa compagnie, ordre qui, pense-t-il, devrait, même avec retard, lui parvenir. J’ai su après la guerre, par des soldats de mon ancienne compagnie, que l’ordre de repli n’est jamais arrivé (capturé ? égaré ? désertion ?) et que la 9“compagnie - déjà très éprouvée à Inor (Meuse) en mai 40 - a résisté jusqu’à sa demière cartouche, laissant sur le terrain quantité de tués, dont son chef, et de blessés graves (amputés). Pour notre part, en route vers le lever du jour, par le château de la Trousse, le village de Limon, nous parvînmes à franchir, dans la Fertésous- Jouarre, le pont du Mémorial, quelques minutes avant sa destruction, puis à nous retrancher dans les villas, quelques-unes très élégantes, qui bordent la rive gauche de la Marne, en aval de la ville. Le récit des autres jours de la campagne de juin 1940 ne concerne pas assez précisément la région qui nous intéresse. Je ne poursuis donc pas plus avant mon récit-témoignage. Maître Pierre VERON
VERON Pierre. « La guerre à Neufchelles et Crouy-sur-Ourcq », les 9, 10 et 11 juin 1940. Mémoires de la Fédération des Sociétés d'Histoire et d'Archéologie de l'Aisne, 1994, XXXIX, p. 187-196.