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5 février 2014 3 05 /02 /février /2014 18:02

C'est un très beau témoignage que nous propose Emilie, celui de son grand-père Paul BOUVIER; 95 ans; habitant Villers-les-Potées et qui fut prisonnier de guerre en Allemagne durant toute la Seconde Guerre Mondiale.

Né à Cuvergnon en 1918, Paul Bouvier partit au service militaire en 1938 et enchaînera avec la guerre. Intégré au 160è Régiment d'Infanterie de Forteresse, il fut en service sur la Ligne Maginot dans le secteur de Boulay en Moselle, sous-secteur de Narbéfontaine sur les petits ouvrages de Coume.

C'est là que le 4 Juillet 1940; il fut fait prisonnier par les Allemands.

Envoyé en Allemagne, il fut prisonnier de guerre dans plusieurs fermes situées en Bavière à la frontière autrichienne dans le village de Fridolfing et de Klebham appartenant au Stalag VII de Moosburg.

A la fin de la guerre, et après une expérience de 7 ans, il rentra enfin à Cuvergnon.

Au terme d'une interview et d'un travail de longue haleine, Emilie nous propose le témoignage encore très présent dans la mémoire de son grand-père, ainsi que des documents personnels.

 Livret-militaire--2-.jpg                Livret-militaire-copie-1.jpg

 "Quel est votre nom? Votre prénom?

-BOUVIER Paul François Léon.

-Quel âge aviez-vous en 1939?

-J'avais 21 ans.

-Que faisiez-vous lorsque la guerre a éclaté?

-J'étais au service militaire.

-Où étiez-vous?

-Au Coin du Bord Saint-Jean.

-À côté de Compiègne?

-Non! À Boulay, en Moselle. J'avais été appelé en 1938. En 38, il y a déjà eu une alerte. Donc nous avons évacué. Comme nous n'étions pas instruits, nous avons évacué à Novéant S/Moselle. Nous sommes restés presque 15 jours là-haut. Sans manger. Enfin, ils avaient fait à manger, mais dans les cuisines ambulantes de 14-18 qui avaient été graissées avec de la graisse d'arme. Ils n'ont jamais été capables de faire à manger dedans. L'odeur était imprégnée puisque c'était de la fonte. Et dans la fonte, l'odeur reste. Alors nous avons mangé... Nous n'étions pas riches. Nous allions manger du raisin. C'était interdit mais nous y allions quand même. Novéant, c'est au bord de la Moselle mais c'est joli. Mais quand tu es comme ça tu n’apprécies pas complètement. Au début, nous avons campé dans une ferme. Il y avait de beaux chevaux. Ça je m'en souviens. Mais, l'un dans l'autre nous n'étions plus à la vie de château...avec rien à manger. Oh, la corvée! Et après, nous sommes repartis pour le camp, mais à pied, par étapes.

-Après que vous soyez revenus au camp, qu'est-ce qui s'est passé?

-Nous avons fait notre instruction. Nous avons fait l'instruction militaire. Puis le maniement d'armes.

-Qu'est-ce que vous aviez comme armes à l'époque?

-Un Lebel

-Un fusil?

-Le fusil Lebel...de 14-18. Nous étions armés! Faire les manœuvres avec ça! Tu l'entendais souvent le gars qui faisait l'instruction:"Autant pour les crosses!" Ah oui! Elles ne tombaient pas toutes ensembles. Alors là, j'ai appris comment il fallait faire. Si tu t'étais aperçu de ton retard, tu la laissais glisser tout doucement sur ton pied. Et après, nous avons eu l'instruction dans les blocs. C'était pas rien! Surtout quand il fallait qu'ils rabâchent pendant je ne sais combien de fois. Le plus beau c'était l'instruction en chambre sur les armes. Quel désastre! Vraiment il y en a qui ne sont pas doués. C'est tout ce que je peux dire. Oui, mais tout de suite, il fallait démonter l'arme, la remonter après, puis ainsi de suite. Personnellement, pour moi, c'était rien du tout. Mais il y en a... Après tu sais ce qu'il faisait l'instructeur, il passait derrière. Nous étions jeunes. Nous allumions une cigarette en pleine instruction. Et les autres, fallait qu'il répète, fallait qu'il répète. Alors lui, il rouspétait. C'était pas marrant. Après, nous avons pris le camp dans les blocs. C'était pareil. Je me rappelle, nous allions dans un petit bloc, ils appelaient ça le bistère 1. Il fallait mettre un moteur en route...avec un peu d'idée...on te le montre une fois, puis c'est parti. Oui mais il y en a, ils sortaient dehors. Quand il faisait beau, c'était rien, mais quand il faisait frisquet dehors. Et puis après, je suis resté là-haut, au bloc, c'est-à-dire au baraquement. Et puis après, c'était les rondes, il fallait monter la garde, etc. Les rondes, c'était pas marrant non plus. Quand il faisait beau, ça allait. Les rondes, c'était toujours de nuit, alors, tu avais toutes les chicanes dans les barbelés. C'était pas écrit que tu arrives à suivre dans le noir, à tâtons. Un soir, je m'en rappellerais toujours, il tombait des fourches et il y avait un caporal qui était borné, un dénommé Camprespine, son nom, je m'en souviendrais toute ma vie.

"Il pleut trop, on va pas faire la ronde, disait-il.

-Si, on va faire la ronde, répondis-je, la ronde doit être faite."

Nous sommes rentrés...pourris. Nous sommes allés signer au baraquement, parce que c'était toujours pareil, les blocs étaient là-bas mais tu venais signer au baraquement ici. Nous faisions du bruit, comme ça, l'officier qui était de détachement, qui couchait à côté, savait que nous étions passés. Jusqu'à la déclaration de guerre, j'ai toujours monté la garde et la garde de nuit. En même temps, j'étais garde magasin pour les frontaliers, parce que eux, ils avaient leurs tenues dans le baraquement. Alors, aussitôt qu'il y a eu la guerre en 39, une alerte sévère, ils ont pris leurs bagages. Alors là, le baraquement a été occupé par d'autres compagnies. Mais ces compagnies-là, moi je ne les connais pas. C'était les gens d'intervalles. La ligne Maginot était là, il y avait un bloc là, un autre plus loin là-haut, mais derrière le bloc, il y avait ce qu'ils appelaient les intervalles. Alors tu pouvais avoir de l'artillerie ou toutes sortes de choses. Il avait mis les 155 mm. De toute manière, ils n'ont servi à rien, puisque les autres ont fait le tour. Et nous ne pouvions rien pour les arrêter.

                                                                 Ligne Maginot

 

Le 21, je suis tombé sur une admission, ils ont donné toutes les explications. Les soldats allemands pouvaient rester 3 jours sans dormir et marcher...avec des pilules. Et ils prenaient la pilule.

-Et après, que c'est-il passé?

-Après, on nous a annoncé que la déclaration de guerre était faite. Alors, il fallait armer. Et puis après, c'était la drôle de guerre. Tu allais faire les rondes, et puis c'est tout.

-Et à ce moment-là, où étiez-vous?

-J'étais dans le bloc. Il y avait l'annexe sud, mais l'annexe sud n'avait rien à voir. Après, tu avais le bloc avec la tour et l'éclipse, c'est-à-dire, ça montait. Là, tu n'avais pas besoin de viser, c'était gradué. Les armes suivaient la graduation. Moi, j'ai pas servi là-haut. Moi, j'étais à l'annexe, je passai au travers du créneau.

-Avant que les Allemands arrivent et vous fassent prisonniers, vous êtes resté là combien de temps?

-Toute la guerre. Nous sommes allés au repos à Failly, en Lorraine, où il y avait un très grand viaduc. Nous sommes allés là-haut, mais nous ne nous reposions pas. Après, il y a eu la guerre. Nous avons eu quelques alertes. Et puis un beau jour, le capitaine avait décrété qu'il allait mettre le drapeau blanc. Je rencontre un gars du Nord, il me dit:

"Si jamais il le met, je vais le tuer!"

Pourquoi se rendre? Nous n'avions pas combattu. Pourquoi se rendre? Il n'y a pas été. Et ça a traîné comme ça. Puis il y a eu l'armistice. Après nous avons attendu, nous allions être rapatriés en zone inoccupée pour être démobilisés. Pourquoi pas. J'attends, j'attends, j'attends...Du 22 Juin où l'armistice a été signé, nous sommes sortis du bloc que le 4 juillet. Alors tout le monde était content. Du moment que nous allions être démobilisés tout le monde était content. Seulement, moi je n'étais pas très loin, et il y avait le grand lieutenant Sousbriller, je ne l'ai pas en photo. L’Allemand s'est avancé, lui il s'est mis au garde-à-vous, il l'a salué, l'autre lui a tendu la main et il lui a dit:

"Je ne sers pas la main à mes ennemis d'hier!"

Ça je l'entends encore, j’étais pas loin, je me dis:"Ça va barder!". Et allez hop! au pas. Nous marchions... Des blocs à la route, il y avait un peu près 2,5 km. Je cogne un collègue qui était là, au moment où nous allions prendre la route. Je lui dis:

"Regarde, on est fait comme des rats!

-Quoi? dit-il

-Tiens, regarde."

Il y avait une mitrailleuse de chaque côté de la route. Et là, nous avons gagné Boulay. Nous avons fait un stage dans le camp du 16-2. Un stage court. Je me suis fait porter malade, je suis allé à l'infirmerie. 3-4 heures après, ils ont battu le rappel et en route pour Sarrelouis. Là, j'ai mangé des pommes vertes et nous n'avions rien à boire. Nous sommes arrivés à Sarrelouis, nous avons couché la nuit là et le lendemain matin, nous sommes partis pour Sarrebruck. Et à Sarrebruck, nous avions toujours l'intention de nous évader. Il y avait un toit pas très haut, nous avions l'intention de monter dessus à deux. Nous voulions sauter de l'autre côté, puis partir. Rien à craindre. Ce n'était pas la peine de bouger. Il y avait des gardiens partout, en rang serré. Et nous avons attendu le lendemain. Et le lendemain matin, ils ne nous ont rien donné à manger, et vers 10-11 heures, ils ont commencé à faire des wagons. Alors, ils appelaient: "Fünf Personen" (Cinq personnes). Mais il y avait toujours des déplacements. Ils n'y arrivaient pas, un coup, ils n'en retrouvaient plus que 4, puis 6 à côté. À un moment donné, ça c'est calmé un peu et c'est à ce moment-là, qu'un Allemand qui faisait le va-et-vient avec son fusil, le long de nous nous dit: "Surtout, ne faîtes pas de bêtises, tenez-vous à carreau, ils n'hésiteront pas à vous descendre."

Mais un Français dit:

"Moi, j'ai été prisonnier plusieurs fois, j'ai été prisonnier en France à la dernière guerre et je raccommodais des chaussettes pour les soldats. J'étais très bien soigné."

Et avec ça, tu étais servi, tu savais à quoi t'en tenir après. Et c'était vrai. Ils ont formé les wagons et en route pour l'Allemagne. Nous sommes passés par Stuttgart, (C'est grand! C'est immense!) mais en revenant, je ne l'ai pas vue car nous n'avons pas pris le même chemin. Nous avons descendu la Forêt Noire.

                                                                               LA CAPTIVITE

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-Une fois arrivé dans la ferme, qu'avez-vous fait? Avez-vous travaillé?

-Nous faisions de tout. Comme dans une ferme. La seule chose que je n'ai pas fait, c'était de répandre du fumier. Mais, j'en ai gratté au printemps parce qu'ils mettaient le fumier dans leur pré. Et au printemps, nous prenions le râteau et nous ramassions la paille.

-Combien de temps êtes-vous resté dans cette ferme?

-Dans la première, je suis resté un peu près deux ans. Lorsque j'ai quitté la ferme en 1943, je n'étais pas encore transformé en travailleur libre. C'est après, quand j'étais dans l'autre ferme, que j'ai été transformé.

-Et dans la première ferme, les patrons, les fermiers, comment se comportaient-ils avec vous qui étiez des prisonniers de guerre?

-Pas toujours très bien. Ce n'était pas le paradis. Même pour la nourriture. J'ai trouvé que dans la deuxième ferme où je suis allé c'était mieux. Peut-être pas énormément mieux, mais c'était mieux. Et puis, nous étions tranquilles pour travailler. Tandis que dans la première, le fermier était toujours à sa fenêtre en train de nous surveiller. Et ça, c'est quelque chose qui me déplaît. Nous savions ce que nous avions à faire. Ils étaient les maîtres. Tandis qu'après, quand je suis monté là-bas, c'était différent. Un jour, je suis rentré au camp, là où nous couchions, et j'ai dis au gardien:

"Demain, je ne vais pas travailler dans cette ferme-là!

-Vous en connaissez une autre, me dit-il.

-Oui, à tel endroit, là-bas.

-Bon, on ira voir ça."

Le lendemain, je suis parti avec lui, nous y sommes allés et je me suis mis à travailler là-haut. On te disait: il y a ça à faire, puis c'est tout. Quand nous avons été transformés en travailleur libre, la paye était un peu juste. Après, lorsqu'il n'y avait pas de rallonge, le travail était fait doucement. Il y avait l'histoire des battages. Nous allions à la batteuse, nous mangions chez l'un, nous mangions chez l'autre. Le jour où nous battions chez celui-là, nous mangions là. Il y en a chez qui c'était l'idéal, mais chez d'autre, c'était maigre. Un peu plus loin de là où j'étais à la première ferme, il y en avait une autre. Là, on nous nourrissait bien. Le dernier jour, tous les gâteaux qui restaient, et il y en avait beaucoup, nous avons dû les emmener. Nous avions nos musettes et nous les remplissions. C'est dommage de ne pas avoir revu ces gens-là. À la deuxième ferme, nous allions à la batteuse et nous montions du grain au grenier, nous étions deux pour le faire. Nous vidions les sacs dans les casiers et lui, je ne sais pas ce qu'il a fait, il tombe dans un casier. Il a senti quelque chose de dur, il a regardé, c'était du lard fumé. Il était dans le blé. Il y en a manqué au gars. Nous redescendions le sac vide, pourquoi ne pas descendre autre-chose. C'est dommage de l'avoir fait car ils n'étaient pas méchants. C'est après que j'ai appris à les connaître comme il faut. C'est lui, que j'ai tamponné en vélo. Mais le pire, c'est que je n'avais plus de vélo après, le pneu était fichu. Remarquez, moi, je suis revenu à pied, mais lui aussi il est reparti à pied. Ce sont les principaux trucs qui sont arrivés. Après la libération, nous descendions pour leur dire que l'on partait le lendemain. Nous marchions, nous ne discutions pas, nous nous en allions. Il y avait déjà quinze jours que nous attendions. Nous marchions tranquillement et tout à coup, nous voyions des soldats, alors nous nous sommes tous mis sur le côté. Nous avons eu peur, j'ai eu peur, mais les autres aussi ont eu peur. Il n'y a que quand nous avons vu l'étoile, que nous avons été soulagés. Il y avait une colonne qui montait et nous étions tellement pris dans cette colonne-là que nous n'avons pas vu la colonne qui descendait à travers champs. Après, nous sommes descendus en bas, à Fridolfing. Nous sommes arrivés à Fridolfing, il y avait des Américains et un groupe de Polonais, les Américains s'approchent, allez ouste!, éjectés. Nous nous disions que nous allions être éjectés nous aussi. Ils arrivent:

"French, French"

Qu'est-ce que ça veut dire "French"? Après lorsque nous avons compris, il nous a expliqué:

"Oui, oui, on est Français!

-Bon, bon, vous pouvez rester, nous a-t-il dit".

Pourquoi une telle différence entre les Polonais et les Français? C'était la même cause. C'est la question que nous nous sommes posés. Le groupe comprenait plus de cinquante prisonniers, mais répartis en plusieurs factions. Nous discutons un peu, puis nous décidons de rentrer. La soirée commençait et nous remontons en haut, là où nous habitions, et nous décidons d'aller boire une bière. Celui qui tenait la brasserie, allait bien nous servir une bière. Nous arrivons là, une jeep américaine arrive, elle s'arrête et ils sortent une flûte de vin d'Alsace. Ils croyaient que nous pensions qu'il était peut-être mauvais, alors ils l'ont débouché et ils ont en bu un coup. Après, nous en avons bu, nous avons trinqué avec eux. Et c'est à ce moment-là, qu'il est arrivé un Allemand, que l'on connaissait très, très, très bien et qui nous a dit en pur français:

"Alors, ça y est, vous allez la revoir, la France."

C'est qu'eux, ils jouaient aux cartes à une table et nous, nous jouions aux cartes  juste à côté et comme pour nous, il ne comprenait rien en français... Imaginez-vous le choc. Il n'y avait pas que moi qui était choqué, il y avait aussi Chiron qui était beaucoup plus vieux. Il n'en revenait pas, et pourtant, lui il avait eu plus l'occasion de voir ce bonhomme que moi qui était éloigné. Mais, nous ne savions pas quoi lui répondre. Il était avec son vélo. Il ne nous est pas venu à l'idée de lui demander pourquoi lui, il circulait alors que les autres Allemands ne le pouvaient pas. Nous l'avons su après, c'était un gars qui allait prendre la place du maire à Fridolfing certainement, comme le maire était un nazi... Ce jour-là, avec le peu que nous avions bu, nous aurions cru que nous étions saouls. Ce n'est pas la moitié d'un quart qui peut rendre saoul. Après, nous nous sommes séparés, moi, je voulais retourner à mon lit, et c'est là, que j'ai rencontré une bonne femme qui m'a demandé si je ne pouvais pas l'héberger, etc. C'était une Française.

Je lui est demandé:

"D'où venez-vous?

-Il y a un moment que je suis en Allemagne.

-Je ne vous ai jamais vu.

-Je ne sais pas où aller.

-Vous n'avez qu'à chercher!"

Et comme la nuit commençait à arriver, je suis parti. Le lendemain, j'ai vu où elle avait dormi. Elle avait dormi sur le bord de la route, un peu plus loin. Elle avait été ramassée par les Américains. Encore, nous l'aurions connu avant, mais nous ne l'avions jamais vu et elle disait qu'il y avait pas mal de temps qu'elle était là. Nous avons attendu pendant quinze jours quand même. Un soir, nous avions décidé de partir, nous disons à Chiron, en discutant:

"Tu sais, on voudrait bien se faire la malle".

Il y avait un dénommé Cachin qui était avec moi tout le temps, nous étions à peu près du même âge et nous nous sommes dits:

"Tant pis, on va finir par se faire la malle."

Et Chiron nous dit:

"Moi, demain, de toute manière, je vais prendre le vélo, je vais aller à Lauffen, voir au quartier général là-bas ce qui se passe."

À sept heures, le matin, il était déjà parti. Oui, mais à sept heures du soir, il n'était pas encore rentré. Nous commencions à nous inquiéter pour lui. Qu'est-ce qu'il y avait pu lui arriver? Il aurait pu crever en vélo. Tout à coup, il arrive. Il nous dit:

"Vous savez les gars, on n'est pas sorti de l'auberge. J'ai contacté à plusieurs places, ils m'ont dit: "Il faut encore au moins attendre une bonne dizaine de jours."

Nous lui disons:

"De toute manière, demain au plus tard, on se décide puis on s'en va."

Le lendemain, comme d'habitude, de bonne heure, nous étions en bas et tout à coup, nous entendons:

"Est-ce qu'il y a des Français ici?"

Le gars crie plus fort, une deuxième fois, une troisième fois. Alors, nous lui répondons: "Oui!" Il s'approche. Il avait une feuille de papier et c'était écrit en gros dessus que nous devions nous regrouper et qu'à midi, nous partions. Oui, mais il était onze heures passées, le temps de regrimper en haut, coudes au corps, il y avait de l'eau et nous pataugions, mais nous courions quand même. Je suis allé chercher ma valise et un Allemand me la ramenée, parce qu'il y avait des prisonniers allemands qui étaient arrivés à la ferme où j'étais. Ils sont venus à deux, ils m'ont pris ma valise, moi, j'avais mes musettes. Puis, nous sommes descendus. Oui, mais nous ne sommes pas partis à onze heures, nous sommes partis à seize heures. Il y avait du monde. Et c'est là, qu'un dénommé Manhol, il travaillait dans une ferme pas très loin de la mienne et nous nous connaissions très peu, dit:

"Ah, si j'avais su j'aurais amené mes affaires et je serai parti avec vous.

-Tu as peut-être le temps d'aller les chercher et de revenir avec, lui répondis-je."

Il ne l'a pas fait et à seize heures, lorsque nous sommes montés dans les voitures, il pleurait. Moi, j'ai dit quand nous sommes montés dans les voitures:

"Toi, tu serais retourné chercher tes affaires, tu partais avec nous. Faut toujours y croire."

Après, nous sommes allés à Traunstein. Tout le monde descendait des camionnettes et on nous a mis dans un amphithéâtre, embêtés avec les musettes et la valise, nous étions à peine assis:

"Allez, les camions sont là, vous partez!"

Du moment que c'était pour partir, nous y allions. Nous sommes ressortis, nous sommes montés dans les camions et nous avons roulé longtemps. Nous avons pris un peu l'autoroute et nous sommes arrivés à Rosenheim. Tout le monde descendait et on nous a dit:

"De toute manière, vous allez prendre l'avion".

Nous étions sur le champ d'aviation et nous nous apprêtions à manger, lorsque l'on nous appelle:

"Il y a des camions qui passent, allez hop, en route, vous partez par les camions."

Ils n'avaient pas pour longtemps à se débarrasser, ils arrêtaient les camions et ils nous chargeaient dedans. Le camion a roulé longtemps. Il y avait toute une file de camions. Et nous sommes allés à Ulm. Nous y sommes arrivés dans la nuit et on nous a descendu dans la citadelle de Ulm. Ça puait. Alors, lorsqu'il a fait jour nous avons décidé de nous documenter. Nous voyions des gars qui étaient là. Il y en a un qui dit:

"Ne vous cassez pas la tête, ils brûlent les cadavres."

Les Américains croyaient que la citadelle de Ulm était formidable. C'était formidable! Ils ont mis une bombe, la plus grosse bombe qu'ils avaient. Elle a tout traversé et elle a explosé. Il y avait énormément de monde, des civils qui étaient à l'abri,... Ils cachaient les cadavres avec de la chaux, puis ils brûlaient. Nous avons formé des camions. Et il y avait un gars que nous avions abandonné, son camion était resté en panne, qui est passé à Ulm, nous l'avons entendu crier. Il s'en allait sur Saverne. Il est allé à Saverne et nous le lendemain, nous avons repris les camions et nous sommes allés jusqu'à Corre, c'est-à-dire à la frontière. Au bout d'un moment, tout le monde a dût descendre pour un contrôle car il y avait des gars de la division bleue qui appartenait à Marcel Déat (il a été fusillé). On nous a fait rentrer dans les murs de la prison, et ils étaient hauts les murs, nous sommes restés là à attendre pendant quatre heures. Alors quelqu'un a dit:

"Amenez les valises, on va faire un escalier."

Mais, au moment où nous finissions l'escalier, une petite porte s'ouvre. C'était des femmes, il n'y avait plus de gendarmes, rien que des femmes. Et l'une nous annonce:

"On va vous héberger un peu plus loin, vous n'avez qu'à nous suivre."

Nous y sommes allés. Nous sommes arrivés dans un genre de château. Mais au sol, il y avait du carrelage. Alors, nous avons déclaré:

"Nous n'allons quand même pas dormir sur du carrelage."

On ne nous a pas répondu. Et on nous avait dit:

"Demain matin, vous passerez de bonne heure à la douche, à l'épouillage et vous passerez la frontière."

Avec Joseph, je décide d'aller voir où est la douche pour y aller de bonne heure le lendemain. Lorsque nous sommes revenus, il y avait de la paille partout. Nous nous sommes allongés, mais nous n'avons pas dormi. Nous sommes restés un peu allongés quand même et de bonne heure au matin, nous sommes allés à la douche. Nous sommes passés à l'épouillage, Joseph, au moment de remettre sa ceinture, il ne la retrouvait plus. Il a dit:

"J'ai une ficelle, ça ira comme çà pour rentrer."

Personne n'était fier. Nous sommes montés dans le car, mais le car ne partait pas. Il fallait que tout le groupe soit prêt pour passer. Alors, à la frontière, les douaniers nous ont arrêté pour nous demander si nous n'avions rien à déclarer. Nous n'avions rien. Puis, nous sommes repartis, nous avons traînés dans Strasbourg. Nous sommes arrivés devant une grande propriété et c'est là que nous avons fait nos papiers de rapatriement. Nous avons dû attendre longtemps. Au bout d'un moment, quelqu'un crie à l'arrière:

"On peut casser la croûte et le vin est à discrétion!"

Moi, ce n'était pas le vin qui m'intéressait, c'était que nous n'avions pas mangé comme il faut depuis un moment. Nous sommes allés manger dans une pièce très propre, nous avions une assiette, un couteau, une fourchette... Ils servent. C'était le plat du jour. Nous commençons à manger et il y en a un qui crie:

"Mais on est en France ou on est encore en Allemagne?"

Nous ne comprenions pas et même celui qui comprenait l'allemand, ne pouvait pas les comprendre: ils parlaient patois. Ils s'en vont et lorsqu'ils reviennent, ils parlent français. Puis nous sommes repartis pour faire nos papiers. Quand nous sommes retournés là-haut, il n'y avait plus personne. Nous n'avons eu qu'à rentrer pour faire les papiers. Moi, comme j'avais mon livret militaire comme pièce d'identité, il me dit:

"Voulez-vous servir de témoin, pour tous ceux que vous connaissez?"

Qui ne l'aurait pas fait? Et là, nous pouvions changer des Deutsch Marks contre des Francs. Mais nous ne pouvions tout changer. Alors le reste des Deutsch Marks a été mis à la poubelle.

Un gars me dit:

"Moi, je n'ai rien.

-Regarde, il y en a plein la poubelle, lui répondis-je."

Çà n'a pas fait plaisir à ceux qui changeaient. Mais le gars n'a pas hésité, il en a pris. Moi, j'ai pris ma musette et je suis sorti. Mais nous étions entrés par une porte et nous devions sortir par une autre. Nous étions perdus. Joseph et René étaient avec moi et nous avons retrouvé un copain. Il attendait pour aller faire ses papiers. Il gardait les affaires. Du coup, nous sommes restés là et il est parti faire ses papiers. Il n'est pas parti longtemps. Il était instituteur. Une fois que nous avons eu nos papiers, nous sommes allés à pieds à la gare. Lorsque nous sommes montés, il y avait trop de monde dans le wagon. Nous sommes partis. Puis nous sommes redescendus pour monter dans d'autres wagons plus loin, et nous sommes revenus. Nous avons voyagé dans des wagons à bestiaux, et nous étions tellement nombreux que nous ne pouvions pas nous allonger. Nous étions encore loin. Nous sommes descendus et nous sommes rentrés dans un camp pour faire viser nos papiers. Ils mettaient une étiquette rose et nous disaient:

"Vous attendrez que l'on vous appelle pour embarquer."

Tout à coup, le haut-parleur se met à hurler:

"Toutes les étiquettes bleues sont priées de se présenter au portail."

Nous avons regardé, nous étions assez loin. Nous avons décidé d'y aller et nous sommes passés avec notre étiquette rose. Nous sommes passés en force. Il y avait du monde, personne ne voulait rester là. Oui, mais après, nous avons su que certains étaient là depuis 8 jours et ils n'arrivaient pas à sortir. Ils n'étaient pas pressés. Nous sommes remontés dans les wagons. Et c'est là que nous avons vu de la misère: il y avait des gamins en haillons qui étaient prêts à porter ta valise, toutes tes affaires, pas pour te les voler. Au bout, ils te demandaient une petite pièce. Puis, nous nous sommes arrêtés dans une gare où l'on nous a apporté des baguettes de pain, une boîte de sardine ou de pâté. Mais la baguette était dure, nous avons mangé quand même. Nous commencions à être sales. Puis, nous sommes passés à Villers-Cotterêts, je dis:

"Mais, je connais çà!"

Je déclare à un copain qui était là:

"Tu as vu où l'on est passé?

-Je sais pas, me répondit-il, je n'ai pas eu le temps de voir."

Je me suis mis à la porte et je n'ai plus bougé. Le train continuait et au bout d'un moment, je me dis: je viens de passer devant ma porte. J'ai reconnu Crépy-en-Valois au tas de charbon derrière le passage à niveau et je dis:

"Allez en route pour Paris, gare de l'Est.

-Penses-tu on va descendre gare de Lyon, me répondent les autres.

-Je te dis que l'on va à la gare de l'Est."

Comme de fait. Nous sommes arrivés à Paris, gare de l'Est. Des jeunes militaires présentaient les armes. Je sors du wagon. Tout à coup, il y en a un qui était à côté de moi, il me dit:

"Mes parents et ma fiancée sont là!

-Qu'est-ce-que tu attends vas-y!"

Ils étaient venus là, ils l'attendaient parce qu'à une place, nous avions pu envoyer des télégrammes. Nous avons été emmenés dans un théâtre et c'est là que j'ai été séparé de mes camarades. Nous sommes partis chacun dans une direction. Moi, je n'avais plus de train. Nous sommes allés manger et il y avait ce gars, Manhol, qui était là, il avait quitté Rosenheim depuis 2 heures.

-Vous, vous aviez mis combien de temps pour revenir à Paris?

-4 jours. Sans se laver, sans rien. À Paris, nous avons pris une bonne douche. Nous étions contents, mais nous avons été obligés de remettre nos habits sales. Quelqu'un est venu nous proposer d'aller nous coucher. Il était environ 1 heure du matin. Il nous a prévenu que vers 4 heures, il viendrait nous réveiller. Nous lui avons dit que ce n'était pas la peine d'aller se coucher. Nous sommes retournés à la gare du Nord. Je me suis retrouvé avec un gars qui descendait à Crépy-en-Valois. Nous avons voulu nous mettre dans le dernier wagon, mais c'était le wagon postal. Nous sommes arrivés à Crépy-en-Valois. Moi, je commençais à remonter vers Villers-les-Potées à pied. Quand quelqu'un m'a appelé:

"On vient vous chercher!"

Mr Pierre Ancelin arrive avec sa camionnette. Le lendemain, je l'ai revu. Il était en colère, il me dit:

"Tu n'aurais pas pu voir qu'il y avait Marcelin? J'ai été obligé de retourner le chercher.

-Je ne l'ai pas vu."

À cette époque, il y avait les tickets de rationnement pour l'essence. C'était pour cela qu'il rouspétait. Quand je suis rentré, l’accueil n'a pas été très chaleureux. Je me suis aperçu qu'il manquait une roue à mon vélo. Elle avait été prêtée à quelqu'un. Je n'étais pas content. Ils ont prêté la roue de vélo le jour où je suis rentré.

-Est-ce qu'ils savaient que vous rentriez ce jour-là?
-Mais oui, ils le savaient! Ils avaient reçu un télégramme.

-Quand vous étiez travailleur libre, avez-vous eu des contacts avec la population? Comment vous accueillait-elle?

-Çà dépendait des endroits. Là où nous avons été le mieux accueillis, c'était en Autriche. De là où j'étais, il n'y avait qu'un pont à traverser et tu étais en Autriche. Là tu entrais dans un café, boire un bol de bière et tu pouvais demander des cigarettes.

À la guerre, moi, je n'ai tué personne. Je n'ai pas tiré un seul coup de fusil. Remarque que si on m'avait envoyé des pruneaux, j'en aurais envoyé. J'ai plongé pour éviter des coups de feu. Je devais aller chercher la moto du sergent. C'était quand j'étais à l'annexe. À l'entrainement, lorsque l'on te dit de plonger, tu regardes, mais là, tu ne regardes pas."

                                    EMILIE ET PAUL BOUVIER      VILLERS-LES-POTEES         DECEMBRE 2013

                                                                            Scan0061.jpg

Carnet de prisonnier de guerre:

Passeport-etranger-provisoire.jpg                          Passeport-etranger-provisoire--2-.jpg

Passeport-etranger-provisoire--3-.jpg   Passeport-etranger-provisoire--4-.jpg

Passeport-etranger-provisoire--5-.jpg

Livret Caisse d'Epargne du prisonnier:


Livret-Caisse-d-Epargne-Prisonnier.jpg  

Instructions aux prisonniers de guerre français mis en congé de captivité:


                                        Instructions-retour-de-captivite.jpg  Instructions-retour-de-captivite--2--copie-1.jpg


 

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