Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
2 novembre 2011 3 02 /11 /novembre /2011 19:26

NTERVIEW DE M.R.MICHON Agriculteur  à la retraite à BOISSY-FRESNOY, par T.Abran

TA : « Avez-vous connu la Seconde Guerre Mondiale ? »

RM : « Oui, j’ai 83 ans, je suis de 1927. J’avais donc 12 ans à la déclaration. J’étais un adolescent. » Rue-de-la-forge.jpg  Boulangerie

TA : « Avez-vous vu la construction des blockhaus de la Ligne Chauvineau ? »

RM : « Oui,quand mon père m’emmenait  quelquefois faire des courses, je voyais en passant leur construction. C’étaient des territoriaux qui les construisaient. Il commençaient par la trachée (fossé antichar) avec un paroi droite, un fond puis une paroi en pente inclinée. Tout cela était maintenu avec du bois. Les blockhaus étaient placés à des endroits stratégiques mais seulement quand on a été envahis, c’était limite si on ne se croisait pas avec les Allemands…. La plupart ont fui et c’était une telle pagaille qu’on encombrait les routes et ça, au détriment des soldats français qui ne pouvaient plus se déplacer avec leur équipage et les Allemands sont arrivés eux, avec des moyens mécaniques importants et j’ai vu, juste avant de partir une ambulance allemande qui avait l’air perdue et qui a été arrêtée par les Français. Ils n’avaient pas de bonnes cartes sans doute, je ne sais pas ce qu’elle faisait là. (…)

Quand on a reçu les canons (il y avait cinquante sortes de canons, de 25mm avec des obus qui ressemblaient à des balles de fusil, une arme avec déjà un bon acier perforant, le 37…), il manquait des pièces et ils ne pouvaient pas fonctionner. C’était la pagaille aussi dans l’industrie d’armement (…)

Pendant l’Exode, j’ai vu, en abandonnant les voitures vers Melun car il n’y avait plus d’essence ; de beaux avions Potel 63 au beau milieu d’un champ, abandonnés. Ils n’avaient pas tellement volé, ils étaient tout neufs.

Un jour mon père s’est fait arrêté en allant à Crépy. Le blockhaus était juste à la sortie de Lévignen. On lui barra la route ; c’était un Nord-Africain (soldat français) qui lui demanda ses papiers. Mon père présuma qu’il ne savait pas lire car celui-ci vit qu’il en avait et il le laissa passer.

A Ver Sur l’Aunette, je l’ai vu, on aurait dit qu’il y avait un groupe de peintres dans ce régiment. Ils avaient tous des tableaux, ils peignaient de beaux paysages, des jardins, des bois qu’il y avait là.

Mon père a fait un peu partie des territoriaux qui ont construit les blockhaus, mais sitôt qu’il cherchait des affectations, comme ils ont su qu’il était agriculteur, ils l’ont nommé responsable du ravitaillement. Il n’a donc pas pris la pelle pour faire les tranchées.

TA : « Parlez-moi un peu de vous à cette époque »

RM : « J’étais en pension au collège St-Joseph de Pont-St-Maxence et, au moment où ça allait mal, je suis revenu ici à Boissy. Puis on est parti en exode. On devait retrouver ma mère et mes sœurs qui étaient parties mais on ne les a pas retrouvées. Puis, mon père a acheté un tandem et on est revenu tous les deux en tandem avec  sur le porte-bagages une boîte à gâteaux dans laquelle on mettait nos victuailles. Au hasard des villes qu’on a traversées, il y avait des ponts qui avaient sauté et des cadavres d’Allemands étalés autour.

TA : « Et après cet épisode de l’Exode ? »

RM : « Après je suis revenu ici, je suis allé un peu à l’école à Crépy, car pour aller à Pont ; il n’y avait plus tellement de moyen de locomotion, c’était plus facile d’aller à Crépy.On y allait en voiture à cheval car il n’y avait plus de carburant. Mon père avait attelé une petite voiture et on y allait comme ça. Je me souviens que peu après l’arrivée des Allemands, comme on manquait un peu de personnel, le service de main d’œuvre nous a fourni des prisonniers français. On en a eu 6 et, le lendemain matin ; ils n’étaient plus que 4….Ils ont bien fait..On a correspondu avec eux, ils étaient du Pas-de-Calais et la plupart de ce régiment là, sont repartis chez eux en douce, ont trouvé des vêtements civils, tandis que les autres ont fait 5 ans de stalag en Allemagne !

TA : « Comment vivait-on ici sous l’Occupation ? »

RM : « Nous avions quand même de la nourriture grâce à la ferme, par l’élevage d’un porc ou deux qu’on coupait avec  le personnel. Il y avait aussi à cette époque une usine de lin à St-Pathus, donc comme on cultivait du lin, on touchait du tissu, mais les vêtements en lin n’étaient pas solides… Par la sucrerie de Meaux, on avait un quota de sucre, du moins par les râperies du coin car il n’y avait plus de camion. La notre était celle de Chèvreville qui avait un petit train à ligne Decauville qui passait par Villers-St-Genest, la route du Moulin de Boissy, passait derrière celui-ci et arrivait ici, à l’entrée du village où la sucrerie avait construit un hangar et une bascule pour réceptionner les betteraves. Des bonshommes, des charretiers,chargeaient les tombereaux de betteraves de plaine, on pesait le tombereau, on faisait une tare à la main, on prenait une corbeille ; on la mettait à l’arrière du tombereau, c’était un peu aléatoire et il y avait toujours des litiges car on avait toujours tendance à mettre de la terre pas mal et il y avait des bagarres. Le fermier qui avait moins de betteraves mettait les betteraves sales à l’avant puis à l’arrière il les topait un peu comme ça il y avait moins de tare…(rire) Chacun se débrouillait comme il pouvait !

La vie pendant l’Occupation n’était pas trop dure au village. Les Allemands, qui avaient besoin de ravitaillement pour les villes passaient, réquisitionnaient des animaux, des bovins ou des moutons et il fallait les laisser partir. Malgré ça, il n’y a pas eu trop de problème de nourriture dans le village. Ils passaient une fois par semaine, sans violence. Les gens avaient des jardins, des fermes. Il y en a même qui faisaient leur pain,il y avait du blé, on le moulait, faisait de la farine. Au café du pays, on grillait de l’orge. Ce n’était pas très bon, mais bon…

A Betz, il y avait une petite industrie ; l’entreprise G. dans la rue perpendiculaire à la rue principale (la rue des vignes). C’était un marchand de grains qui avait monté sa petite affaire, qui, d’ailleurs marchait pas mal, mais qui ne plaisait pas à tout le monde. Il faisait des flocons d’avoine. Le pire était l’orge perlée. On meulait l’écorce d’orge et l’amande et ça pouvait s’apparenter au riz. Seulement, étant cuit, c’était un peu gluant, pâteux. C’était une nourriture comme une autre. !!

TA : « Utilisiez-vous le train, notamment l’ancienne voie Ormoy-Villers vers Mareuil S/Ourcq ?

RM : « Pas tellement,cette voie avait été rétablie. Elle avait été importante en 1914 car elle reliait le réseau Nord au réseau Est et après ils ont du démonter une voie car elle servait moins et, à la guerre de 40, ils ont remis une autre voie. Il y en avait donc 2 à ce moment là.

TA : « Y avait-il des mouvements de Résistance dans la région ? »

RM : « Oui, tout à fait, il y avait plusieurs réseaux, dont un à Lévignen. Là ; il y a eu des salopards qui ont dénoncé des Résistants ; ça a fait arrêter leur chef .Le pauvre a été dénoncé par le directeur ou le sous-directeur de l’usine de Boissy-Lévignen. Aussitôt l’arrivée des Américains, le fils du Résistant a pris sa mitraillette (son sten) et est allé toquer à sa porte à Crépy. Il lui a envoyé une rafale. La police ne l’a pas inquiété pour ça…

Il y a eu quelques drames dans l’équipe de Lévignen . Comme les Résistants avaient caché des armes dans une tombe du cimetière ; on n’a jamais trop su si c’est une mitraillette qui était restée chargée, mais quand ils ont sorti les armes ; eh bien Martin, qui était un type comme ça, il a pris une rafale et il est mort.

Il y a eu aussi le garde-champêtre de Lévignen qui, lui, était des deux bords. Il a été convoqué par le Comité de Résistance dans le bois, il a été jugé et pendu sans autre forme de procès !

Dans le bois, il y avait un groupe de Russes évadés de l’Armée Allemande qui s’était un peu incorporé dans la Résistance du coin, ils vivaient là, dans le bois, pas très loin du passage à niveau 37 .C’était un peu loin de tout, ils s’étaient fait une hutte là-dedans et ils vivaient là. Un jour, un fermier d’ici n’était pas content car il avait mis une bâche sur sa meule de gerbe et on lui avait volé cette bâche. Il s’est engueulé avec les Russes qui sont vite repartis car il avait une mitraillette sur le ventre. (rire)… »(…)

Il y avait le docteur Rodrigue à Betz et dans d’autres coins, il y a eu d’autres groupes ; à Fosse-Martin, à Acy, il y avait un docteur Gilbert qui a fait de la Résistance. Certains ont été dénoncés, déportés…

TA : « Connaissez-vous d’autres anecdotes de cette époque ? »

RM : « Un jour de 43, j’avais alors 16 ans, le ciel s’obscurcit de forteresses volantes, qui passaient par vagues. Sur le coup de midi, on regarde,on voit un parachute. Je prends alors mon vélo et je sors. Je tombe sur des Allemands qui étaient dans Boissy, à la recherche du parachutiste. Ils me demandent comment faire pour aller dans sa direction. Je les ai envoyé complètement à l’opposé vers la Nationale (la RN2), puis, j’ai pris un petit chemin de plaine et j’ai vu ce gars. Comme, il parlait anglais et pas moi, il était entouré de gamins comme moi, et dit « fire, fire » comme s’il y avait le feu dans l’avion. Enfin, il s’en est sorti en passant par les Résistants de Lévignen. On n’a pas trop su ce qui s’était passé, mais il a eu chaud.

Une nuit, que je dormai, j’entendis une explosion importante.Je me précipitai à la fenêtre de la chambre et vis une 2ème explosion. On entendait des crépitements de balles. Le lendemain matin, je prends mon vélo et j’arrive au carrefour de la route Macquelines-Villers-St-Genest-Nanteuil-Betz.Il y avait un avion anglais qui était tombé là, un bi-moteur, un bombardier moyen de nuit qui a du être tiré par l’aviation de chasse allemande de Creil. Il avait laisser tomber une bombe près du village à 200m 300m du « pays ». C’était la première explosion. Puis, quand il est tombé, une autre bombe a explosé. Comme il a pris feu…Tous les pauvres soldats étaient étalés près de l’avion.

Un dimanche, mon père(moi, je n’étais pas avec lui), va faire un tour de plaine avec la voiture à cheval et il approche par là, des l’appelent ; il va voir ; il y avait un des parachutistes, ce devait être le mitrailleur de queue, qui était tombé ou qui s’était jeté de l’avion, à 300-400 m.Donc, il était mort là, enfoncé dans le sol par sa chute. Les gens l’ont retrouvé par l’odeur, c’était l’été, il faisait chaud. Les gens venaient là, car on retrouvait des morceaux de l’avion, on avait retrouvé la roue de queue, qu’on a pris et qui nous a servi à mettre sous une moissonneuse-lieuse.    C’étaient des lancaster .

                                     

 

 Tout ça c’est la vérité.

Il y a eu quelques Français qui ont été tués de part et d’autre de la Nationale et qui ont été enterrés au cimetière de Boissy-Fresnoy. Puis, après, ils ont été enlevés par leur famille. Car, c’était une vraie pétaudière innommable. Gamins, on allait voir dans les bois, il y avait des chevaux crevés, des munitions de fusils que les pauvres Français avaient abandonnées.ça s’est battu un petit peu, pas beaucoup.

A Ormoy-Villers, je me souviens quand les Américains sont arrivés. Ils ont envahi la ferme totalement  ils nous ont viré,car ils avaient un PC. J’ai pas dormi de toute la nuit car j’étais à l’écurie. Les Américains tiraient des obus car il y avait un nid d’Allemands à Ormoy-Villers. Ils ont tiré des coups de canon toute la nuit et le lendemain matin, ils sont partis. On les a plus revu.

Quand les avions américains à double fuselage commençaient à tirer au-dessus de la ferme, les douilles ; les grosses douilles de 12,7 tombaient sur les pavés de la cour. Ils tiraient en permanence sur les camions de la RN2. Pendant un moment, il y eut une monnaie bizarre qui a circulé dans la région ; c’étaient des pièces en alu un peu fendue car un camion de la Banque de France  avait pris une rafale. Il y avait le long de la route une coulée d’alu !! Il devait rester des pièces et les gens se sont servi !C’est de bonne guerre !!.Ils tiraient sur tout ce qui bougeait ; il y eut un ouvrier agricole qui s’est pris une balle perdue (du moins je l’espère). Il était sur une moissonneuse-lieuse tirée par des chevaux et il a pris une balle dans le dos, assis sur le siège de sa machine. Les balles se promenaient un peu partout…

TA : « La guerre a-t-elle modifié les relations au sein de votre famille ? »

RM : « A ce sujet, j’ai une anecdote. Pendant l’Exode, lorsque ma mère et ma sœur étaient parties et que j’étais resté avec mon père, un jour on voit une superbe voiture américaine de l’Armée Française. Je ne sais plus ce que c’était comme voiture, une Chevrolet peut-être ? peinte en kaki et c’était un cousin un peu plus lointain que germain de mon père, qui fuyait. Il était lieutenant et partait avec son ordonnance. Il y eu une explication violente avec mon père qui trouvait ça honteux.

Avec 4 enfants, mon père n’a pas été prisonnier.Il avait fait la guerre de 14-18 et s’était engagé à 17 ans. Il a fait Verdun où il a vu des choses innommables et il a été un petit peu dans les chars Renault. Il a vu des pauvres gars qui avaient la trouille, qui mettaient le pied dans la chenille (pour se mutiler). Mon père croyait en la France, en Pétain. Comme beaucoup, il croyait qu’il allait la sauver.

Et puis, il y a ceux qui ont pactisé avec les Allemands. A Acy, dans la grosse ferme d’Acy, le fermier de l’époque qui avait du mal se conduire à reçu un cercueil !

Par contre, à Betz, un des Duchesne  qui avait 21 ans, Henri, s’est fait tué sur son char en Alsace.(Note :Né le 23 Mars 1923 à Betz, étudiant à Paris, Henri Duchesne s’engage à la Libération et rejoint la première armée de De Lattre de Tassigny. Le 25 Septembre 1944, il est tué à bord de son char le 2 Février 1945 à Schoemstenbach dans le Haut-Rhin)

TA : « Comment avez-vous vécu la Libération ?

RM : « Mon père m’a envoyé avec un jeune voisin d’ici voir le Défilé de la Victoire à Paris en 1945. C’était fabuleux. Ce que j’ai vu de mes yeux, c’est un régiment de chars de Leclerc qui était revenu sur le char « Sergent Henri Duchesne ». Le régiment honorait son défunt. Ils avaient baptisé le char à son nom. Je l’ai vu de mes yeux ça.

                                                                                Boissy-Fresnoy, le 11 Février 2011


 

 

Partager cet article
Repost0

commentaires

Présentation

  • : Le blog de l'AEC"Archéo-Blockhaus" du collège de Betz
  • : Ce blog a pour but de présenter les travaux effectués par un groupe d'élèves volontaires de 3e participant à une Action Educative et Culturelle (AEC) autour de la ligne Chauvineau et plus largement dans le Valois
  • Contact

Texte libre

Recherche