LA LIBÉRATION DE BETZ ET DES COMMUNES VOISINES PAR LES TÉMOINS DE L'ÉPOQUE
C’est dans la matinée du 28 août 1944, il y a 80 ans aujourd’hui, que les forces alliées libérèrent Betz et les communes environnantes. Comme l’a rappelé Mme le maire, il s’agissait de la 3ème Division Blindée Américaine du général Maurice ROSE appartenant au 7ème Corps américain du Général COLLINS et en particulier le groupement tactique américain de chars de combat commandé par le brigadier-général Truman F. BOUDINOT. Débarqués en Normandie le 6 juin et venant de Meaux, les Américains se scindèrent en plusieurs itinéraires pour libérer les communes du Sud-Est du département de l’Oise. Betz a donc été une des premières communes libérées de l’Oise.
Ce matin-là, Simon, Claude et Hubert ; 3 enfants de Betz étaient sur les bords de la Grivette, il était tôt entre 6h et 8h. Au château du Moulin, ils virent les Allemands s’activer, la grille était grande ouverte, ils partaient.
Les Américains arrivaient de Meaux. M. Duchesne, le Maire, était au Montrolles et revint en vitesse, ayant entendu au loin vers Puisieux des tirs. Au cas où la situation tournerait mal, ordre a été donné à la population de se cacher dans les tranchées individuelles creusées dans le village et de se calfeutrer chez soi « C’était un lundi et déjà la semaine précédente, on entendait le canon tonner au loin, mais très loin. Le dimanche, on a eu nettement l’impression que le canon s’était rapproché. Après coup, j’ai su qu’il s’était rapproché d’ Acy-en-Multien et de la ferme de Nogeon » se souvient Robert Leroux. Puis, au matin de ce jour fatidique, un petit avion américain survole la région, signe que les troupes n’étaient pas loin. « La veille des avions survolèrent Bouillancy nuit et jour » écrit Jean Troublé alors à Bouillancy.
Déjà, depuis 3 jours, les Allemands commençaient à quitter le pays avec leurs chars, autos, chevaux et même à bicyclettes ! Mais ce 28 août, dès 9h, des convois passèrent en vitesse. Chacun disparut des rues, les fenêtres et volets se fermèrent aussitôt, puis ce fut le silence... « Sur la route de May à Mareuil, des camions allemands passaient plus ou moins en convois, chargés d’hommes avec ou sans armes, et parfois derrière à bicyclettes ; des militaires, attachés à une corde pour aller plus vite et sûrement pour rester avec les autres, pressés de rentrer chez eux avec l’espoir de ne pas être faits prisonniers » raconte Françoise De Besombes.
Gaston Pénot se souvient : « Il commençait à faire jour, regardant à travers les persiennes, je vois des gros tanks allemands qui montaient la côte devant la maison, ils avaient des canons très longs, des soldats casqués vêtus de noir étaient debout à chaque coupole ouverte, l’un de ces tanks n’arrivaient pas à prendre le virage, son canon est venu buter sur le mur juste sous la fenêtre où je me trouvais »
Peu de temps après ; les chars américains entrèrent dans Betz venant par la route d’Acy. Une jeep d’abord munie d’une mitrailleuse, puis 3 chars. Peu à peu les volets s’ouvrirent et la population descendit auprès des chars, embrassant les soldats à qui elle offrit des fleurs. Jean, avec l'autorisation de son patron enfourcha son vélo et reprit la route et la côte de Bargny pour aller annoncer la nouvelle. A ce moment à l’intersection des routes d’Acy, Etavigny et de Nanteuil, d'autres chars pointèrent leur nez.
Au même moment, Jean Hermant, comme tous les jours se rendait en vélo de Bargny où il demeurait à son travail à la graineterie Garnier dans la rue principale de Betz. « Vers 9 h 30, d’autres bruits de chars dans la rue et nous vîmes, derrière les volets, s’avancer au ralenti, une petite voiture découverte, le pare-brise rabaissé, munie d’une mitrailleuse, conduite par un soldat, les cheveux blonds, la face rougeaude et suivie de trois chars. Nous ne savions pas que cette voiture était une Jeep et que les chars étaient américains. La voiture et les trois chars s’arrêtèrent et le conducteur, de son bras droit, faisait le geste de venir à lui. Aussitôt, les volets de toute la rue s’ouvrirent et tout le monde se retrouva auprès des chars, criant de joie, embrassant les soldats américains, leur offrant des bouquets fleurs » témoigne Jean Hermant.
Tout à coup, de la route de Nanteuil, une voiture allemande arriva et se retrouva nez à nez avec les Américains. S’ensuivit alors une fusillade au cours de laquelle un civil Marcel VERNET de Boissy, qui passait en vélo fut tué ainsi qu’un soldat allemand, 3 ou 4 personnes furent aussi blessées dans une voiture en feu sous les yeux de Simon venu chez un copain assister à l'arrivée des Libérateurs.
Un peu plus bas dans la rue principale, habitaient des religieuses polonaises à l’étage d’une des maisons. Elles s’occupèrent de donner les soins nécessaires aux blessés. Après la fusillade le char est resté un moment, d’autres arrivèrent pour poursuivre leur œuvre libératrice. Quand le premier char a repris sa route et passa devant chez les religieuses, elles avaient mis un drapeau français et un drapeau polonais à la fenêtre. Le soldat qui était dans la tourelle qui était un Canadien d’origine polonaise les félicita ! Les habitants découvrent alors une armée américaine cosmopolite composée de Canadiens, de Polonais, mais aussi d’afro-américains… un condensé du melting-pot de la société d’outre-Atlantique.
Plusieurs jours durant, des chars passèrent en direction de la RN2. Un des fils Duchesne ; Henri apprit qu’un Allemand s’était caché dans le Clos (derrière l'ancienne gendarmerie) et ne tarda pas à le faire prisonnier. Celui-ci se rendit et fut prié de monter sur un des chars et partit avec les Américains.
Au soir du 28 Août. Toutes les communes du canton de Betz sont libérées. L’action a été rapide et ne rencontra que peu de résistance de la part des Allemands, la 3ème Division Blindée américaine est à Villers-Cotterêts puis dans les faubourgs de Soissons. Suivant les tanks à quelque distance, les 1ère et 9ème Division d’Infanterie viennent occuper les arrières et les flancs du front américain. Des éléments de la 1ère Division d’Infanterie américaine (« The Big Red One ») s'installent au sud-est de Betz.
À Lévignen, même scénario au carrefour de la route Betz-Crépy et de la RN2 devant l’auberge des « Trois Lurons ». Anne-Marie Pardanaud (épouse de Simon), a onze ans au moment des faits et garde un souvenir marquant de la Libération pour la petite fille qu’elle était : « Il y a eu un accrochage au carrefour des « Trois Lurons » et quatre gradés ont été tués… [1].
Je me souviens qu’(…) " Il y a des gens du village qui les ont dépouillés ! Le lendemain à l’école on a eu de notre maître monsieur Joly un cours de morale ! Nous, les gosses on est allé voir les cadavres en se faufilant. Je me souviens avoir vu leurs pieds, leurs bottes » et Josiane son amie de rajouter « un Allemand qui survenait à moto fut tué par une grenade. Je me souviens de cet homme tombé avec son engin dans les jambes. Les habitants venus accueillir nos libérateurs n’ont eu que le temps de se cacher derrière les troènes de la cour de la ferme. » L’heure n’est donc pas aux effusions de joie et ses accrochages rappellent que la guerre n’est pas finie. À Lévignen, la mort d’Alfred Talon ce jour-là est encore dans les mémoires. Ce jeune apprenti maçon, appartenant au réseau local de résistance (le Groupe Ardenois) est tué à bout portant par les Allemands en retraite sur le bord de la route en revenant de Macquelines où il était allé prévenir le groupe de FFI auquel il appartenait[2]. Son nom est inscrit sur la stèle rendant hommage aux résistants à Lévignen. Un sort identique a été réservé à Jean Redonnet à Ormoy-le-Davien[3]. Des morts parfois dues à des hasards mais aussi à quelques imprudences.
Les Américains, comme les Allemands avant eux, occupèrent quelques temps le château de Mme Vincent mais aussi l’autre château appelé le Moulin.
D’après les souvenirs de Robert Hénin et de René Pénot, le ravitaillement était fait par voie ferrée et par la route (par le célèbre Red Ball Express). À Betz, la halle de la gare avait été réquisitionnée pour stocker notamment les fameuses rations K.
« A la gare, c’était certainement leur dépôt de ravitaillement, ils avaient dû réquisitionner la halle de la gare, du moins je pense que ça devait être comme ça. Je me souviens aussi que sur le bord de la route de Crépy, il y avait des stocks d’obus disposés là. J’en avais récupéré un ! Il y en avait aussi sur la route de Bargny et de la poudre même. On en a fait sauter un, les flammes ont failli toucher les lignes à haute tension ! Plus loin il y avait une caisse avec des amorces dedans dans des petites boîtes de conserve. Toutes les munitions qu’ils avaient récupérées ici ou là, ils en avaient fait un dépôt dans un blockhaus. Des fois le dimanche on y allait traîner. Puis, ils ont fait sauter le blockhaus. C’étaient des prisonniers allemands qui devaient faire ça. Du temps des Américains, il y avait à la propriété un jardinier « boche » avec lequel j’ai travaillé, il faisait des légumes, certainement pour le camp de Gondreville. Dans les prisonniers allemands, il y avait aussi des mécaniciens. Il y avait 2 gros camions de prisonniers qui venaient à Betz. Il y avait toujours quelque chose à faire, des camions à réparer. Le plus drôle c’est que certains prisonniers montaient la garde au château avec une matraque ! »
Les Américains libérateurs et victorieux ne s’interdisent aucun divertissement et amusement. À Lévignen, Anne-Marie l’assure : « Quand les Américains étaient là, il y avait des bals, des fêtes, mais nous on n’y allait pas. Mon frère[4] était toujours à la guerre, engagé à poursuivre les Allemands. Pas question qu’on fasse la fête ! ». À Betz, Gaston Pénot fait allusion à un bar américain situé dans l’arrière-salle de l’hôtel-restaurant « Le Cheval Blanc » orné d’une fresque murale aux motifs de pin- up sans équivoque. Les soirées américaines succédèrent aux soirées allemandes…Parfois des liens se tissent entre les habitants et leurs libérateurs. Jean Hermant en fit l’expérience et raconte : « Dans les mois suivants, nous avons sympathisé avec un Américain qui était cantonné à Bargny, le capitaine Charles Rooney, qui était dans le civil avocat à Topeka (dans le Kansas). Nous l’avons invité à notre mariage le 4 avril 1945, et comme cadeau, au dessert, il nous a apporté quelques oranges, cadeau qui fut très apprécié à l’époque. À l’issue du repas, il a rédigé à notre intention, au dos d’une enveloppe que je garde précieusement, le mot suivant : C’est agréable de voir une telle vraie gaieté. Je peux dire aux amis de la France en Amérique, que la France peut encore être joyeuse et que la France ne mourra jamais ! » Charles Rooney, Capt. US Army. »
De cette époque, Betz et Lévignen conservent les derniers témoins, Simon et Anne-Marie dont les récits et souvenirs des enfants qu’ils étaient, sont un précieux héritage. Le souvenir du 28 août 1944 se perpétue aussi par une rue ; la rue de la Libération, ex-Grande Rue qui changea de nom par décision prise, un an plus tard le 2 septembre 1945.
L'EQUIPE DE L'AEC « ARCHEO-BLOCKHAUS » DU COLLEGE MARCEL PAGNOL
D’après les témoignages de Simon et Anne-Marie NOWAKOWSKI, Gaston et René PENOT, Robert HENIN, Jean HERMANT, la famille de Besombes, Jean Troublé.
En rouge: les témoignages lus par les élèves de l'AEC
Alfred TALON (FFI-OCM) né le 28 novembre 1876 à Bresles, maçon à Lévignen. (Source : J.Claude Santandréa petit-fils d’Alfred Talon).
Jean REDONNET (FFI-OCM) : né le 10 janvier 1909 à Beauvais, épicier-cafetier à Ormoy-le-Davien, rejoignait son groupe à bicyclette armé d’une mitraillette Sten. Surpris par les Allemands, il est abattu au lieu-dit « la Bascule » entre Gondreville et Lévignen le 28 août 1944.