RECIT DE M.GARNIER. BARGNY
Pierre Garnier est né en 1934 à Lévignen et a dix ans à la Libération. Issu d'une famille d'agriculteurs de 3 enfants, il a un frère et une sœur. Il a gardé en mémoire quelques souvenirs de la guerre à Bargny.
L'EVACUATION :
"A cette époque, j'avais 6-7 ans. On a évacué une première fois entre Meaux et Coulommiers à Bouleurs. Puis, la deuxième fois jusqu'à Giens. On a regroupé les vaches dans une pâture et des soldats français sont passés chez nous et se sont occupés des bêtes. Je ne sais où ils allaient.On est partis avec des chevaux, mon grand-père étant cultivateur. On avait emporté du matériel, des meubles dans des charrettes. Mon grand-père avait fait une cage au-dessous de la charrette pour y mettre des poules. Maman conduisait la C4 et, faute de carburant, on l'a attachée derrière la charrette pour la tracter. En chemin, on a été mitraillé et le pont de Giens a sauté. On a eu juste le temps de passer, sinon on aurait sauté avec. On nous a dit d'aller à Giens car on ne pouvait aller n'importe où. Les Allemands nous doublaient ! Quand j'y pense, c'était incroyable. Mon père était soldat en 1940 dans le Train-Auto à Etain dans la Meuse, mais comme il avait des problèmes au cœur, il a été réformé. Il est donc revenu, sans quoi, il aurait sans doute été fait prisonnier. Il est rentré aux Ponts et Chaussées à Betz situés après le pont SNCF sur la route d'Acy (avant, il était mécanicien à la sucrerie de Vauciennes). Il avait un atelier de réparation, une forge.
L'OCCUPATION :
Les Allemands faisaient des manoeuvres dans les pâtures. Un jour mon père, qui était F.F.I. avec M.Triboulet, avait récupéré des balles et en avait plein les poches. Il n'aurait pas fallu qu'ils se fassent attraper avec ça ! A Bargny, les Allemands ne faisaient que passer, il n' avait pas de cantonnement.
On n'a pas trop manqué durant cette période, comme c'était le cas en ville. Des Parisiens venaient jusqu'ici, en vélo chercher des pommes de terre. Ils nous donnaient de la saccharine contre des pommes de terre, on faisait du troc. On avait des tickets de rationnement pour l'alimentation, les vêtements...
A Bargny, le maire était M.Triboulet, un ancien de 14-18 qui n'aimait pas les « Fridolins ». A la mairie, un panneau en Allemand indiquait « Burgmeister ». Mon grand-père aussi avait fait 14-18, 7 ans d'armée : 3 ans d'active et 4 ans de guerre !. Mon père* quant à lui, n'a pas fait le S.T.O., mais il avait la trouille d'être réquisitionné. Il avait dit aux gendarmes avec qui il était bien, de le prévenir si on venait le chercher. Il se serait alors sauvé par les bois derrière les Ponts et Chaussées. Cependant, on nous a réquisitionné des chevaux, il fallait les amener à Betz à la grille du château. Celui qui en avait 5 ou 6, on lui en prenait 1. Celui qui en avait 10, on lui en prenait 2. Ils étaient ensuite emmenés pour tirer les canons. Mon grand-père n'était pas content, déjà qu'on en avait perdu un durant l'évacuation en forêt de Fontainebleau...
LA LIBERATION (Août 1944-...)
« Quand les Américains sont arrivés, on est descendus sur la place pour les voir passer. C'est Jean Hermant qui nous a prévenu. Les chars arrivaient de Betz et allaient en direction d'Ivors. Olivier Brisset, de Betz était assis sur le devant du char... On a vu passer une vingtaine d'Allemands en vélo. Ils ne savaient plus où aller. Ils se sont arrêtés un moment sous les arbres de la place et sont partis je-ne-sais-où ? Il faisait chaud. Plus tard, il y a eu un capitaine américain qui est resté dans le village de Bargny, il était installé dans une maison de l'actuelle rue de chemin vert chez M.Lavache. Il y avait son bureau. Avant lui, les Américains avaient installé un poste d'observation au sommet du clocher et un bureau dans l'église ! Plusieurs officiers y sont passés. Nous les gamins, on allait les voir et ils nous donnaient des chewing-gums.
Des avions américains mitraillaient des convois allemands sur la RN2. C'étaient des double-queues. Moi, j'avais peur des avions et j'allais me réfugier dans une tranchée derrière la ferme. On avait mis des ballots de paille dessus. Sur la route d'Ivors, il y avait des tas d'obus. Les prisonniers les chargeaient dans des camions américains et allaient les faire sauter dans le blockhaus du Bois de Lévignen. Ça sautait pendant deux ou trois jours. Ils enlevaient les douilles vides et remplissaient. Ces munitions au bord des routes, les Américains n'en avaient plus besoin. C'étaient des gros camions, des semi-remorques.
Des prisonniers allemands sont venus nettoyer le cimetière de Bargny, gardés par d'anciens prisonniers français. A la maison, il y avait une carte au mur que l'on punaisait au fur et à mesure de l'avancée des Américains.
Pas mal de Résistants fabriquaient des pointes pour crever les pneus, c'était pas toujours marrant. Un jour à Gondreville, ils se sont fait attrapés et ont du réparer les pneus. Il y avait pas mal de pseudos FFI..
Les avions américains jetaient des poèmes, des chansons (le Courrier de l'Air), des petits bouquins, ils envoyaient des bandes de papier aluminium pour brouiller les messages. Ils jetaient aussi des réservoirs de 1000 litres lorsqu'ils venaient de bombarder l'Allemagne. Ils se délestaient et ça tombait dans les champs. Certains en ont récupéré, puis découpé pour en faire des barques rondes. Parfois, il y avait une vingtaine d'avions qui passaient, ça faisait un de ces vacarmes, surtout la nuit. Les bombardements de la région parisienne illuminaient le ciel jusqu'ici.
Un avion allemand s'est fait mitraillé et s'est écrasé sur la route d'Ivors, à gauche avant le croisement. Le lendemain, on est allé voir. Il y avait des corps et même que le chien du cousin a bouffé une cervelle !"
Propos recueillis le 20 Octobre 2017.
* Le père de Pierre GARNIER s'appelait aussi Pierre GARNIER. Quelques documents relatifs à sa guerre sont présentés en fin d'article.