C'est avec une grande tristesse que nous avons appris la disparition de Gilbert Harny à l'âge de 102 ans. Les anciens de l'AEC se souviennent peut-être de son témoignage recueilli à Choisy-au-Bac lors d'une journée mémorielle et mémorable de 2010 où le groupe avait aussi rencontré le matin même Jacques Vigny, déporté résistant du Compiégnois. Un moment incroyable gravé dans nos mémoires.
L'Équipe de l'AEC présente ses condoléances à la famille de Gilbert.
Rappelons le parcours de Gilbert:
Né à Jussy dans l’Aisne en 1922, il a alors 17 ans lorsqu’éclate la Seconde Guerre Mondiale et tout juste 18 au moment de la campagne de France de mai-juin 1940.
C’est sur les routes de l’Exode, alors qu’il s’était réfugié dans le Limousin que Gilbert Harny entendit le 18 juin le célèbre Appel du général De Gaulle. La France occupée et humiliée s’apprêtait en signant l’Armistice à inaugurer une politique de Collaboration qui très vite lui parut insoutenable. La vision de ses premiers Allemands en gare de Vierzon au retour d’évacuation fut pour lui un choc et leur présence vite insupportable.
Les vicissitudes de la guerre conduisirent Gilbert Harny à s’installer à Choisy-au-Bac où, très vite il manifesta une farouche hostilité envers l’Occupant installé dans notre commune. Il y réalisa ses premiers actes de Résistance, à titre individuel et de manière spontanée. Au passage des convois militaires qui sortaient du Château des Bonshommes au Francport, il n’était pas rare qu’il jette des clous sur la chaussée, préalablement tordus et mis dans sa musette. Dans son métier d’électricien, il était fréquent que des coupures inopinées de courant mettent dans l’embarras et en colère les autorités d’Occupation. Ces premiers actes n’étaient que les prémices d’une action de plus grande envergure qui ne tarda pas à s’imposer à lui.
Son véritable engagement dans un mouvement de Résistance structuré date de fin 1942, et Gilbert Harny le doit à un de ses oncles, Kléber Harny et à son épouse Marthe. En effet, cet oncle avait rejoint le réseau qu’avait créé son capitaine Georges Darling à Trie-Château aux confins de l’Oise et de l’Eure. Il appela Gilbert Harny qui accepta sans hésitation de le rejoindre. Ce réseau était le plus petit maillon du réseau Prosper aussi appelé réseau Buckmaster qui dépendait de la SOE anglaise (Special Operations Executive) ; les services secrets créés par W. Churchill. Le réseau franco-britannique Darling dans lequel évolua Gilbert Harny était spécialisé dans les renseignements mais aussi dans les parachutages et caches d’armes pour lesquels il joua un rôle majeur au printemps 1943.
Malheureusement, en ce printemps 1943, de nombreux mouvements de Résistance furent démantelés par les Allemands dans une opération d’envergure qui en fit tomber les principaux chefs. Le réseau Darling ne fit pas exception et le 26 juin 1943, sans doute trahi, celui-ci fut pris par les Allemands sur les lieux même de la cache d’armes. Gilbert Harny eut beaucoup de chance ce jour là, son sort se joua à quelques minutes près, se rendant lui-même sur les lieux. Ses compagnons de lutte furent pris au piège, certains furent blessés, d’autres arrêtés et déportés et leur chef G. Darling tué.
Gilbert et Kléber Harny eurent la vie sauve et ne traînèrent pas davantage dans le secteur de Trie-Château, se séparèrent et se firent oublier du moins dans un premier temps. Cette première expérience résistante aurait pu décourager Gilbert Harny et l’amener à plus de prudence et de raison. C’était mal le connaître. Sa volonté de poursuivre le combat, la fougue de sa jeunesse, son idéal patriotique et son refus d’aller travailler en Allemagne le poussèrent à d’autres actions.
C’est dans sa région natale de l’Aisne que nous retrouvons quelques mois après Gilbert Harny autour de la commune de Jussy où vivaient ses parents. C’est là, qu’il noua de nouveaux contacts avec la Résistance et c’est dans l’O.C.M. Aisne (Organisation Civile et Militaire) du secteur de Beaumont en Beine (Chauny-Tergnier) que Gilbert Harny connut sa 2ème expérience résistante dans un réseau cette fois français. Un tout autre type d’actions l’y attendait. En effet, sabotages de lignes à haute tension, de lignes téléphoniques, agent de liaison, passeur sur la ligne de Démarcation Nord, inspections de convois ferroviaires à destination de l’Allemagne seront son quotidien et ses titres de gloire durant cet été 1944, et ce, jusqu’à la Libération qu’il vécut dans l’Aisne.
Sa vie et ses récits étaient dignes d’un roman ou d’un film qu’il distillait avec parcimonie avec le sourire malicieux de celui qui avait le sentiment du devoir accompli. A la Libération, il aurait pu comme bien d’autres continuer l’action militaire, pour laquelle d’ailleurs il fut sollicité. Mais, pour lui la guerre était en passe de se terminer et son action avec. Il avait fait ce qui lui avait semblé bon de faire, au moment où il le fallait. Sa mission était accomplie, il préféra retrouver Choisy, son travail et passer à une autre vie, fonder une famille dans ce pays qui retrouvait la Liberté, cette liberté chérie pour laquelle il s’est battu comme bien d’autres héros discrets. Et si d’aventure vous lui demandiez pourquoi, il avait fait tout ça ? Il vous répondait comme une évidence qu’ « il fallait le faire ». T.A.