Aujourd'hui, nous vous proposons une interview réalisée en 2013 par l'AEC auprès d'un Ancien de Betz; M.Robert HENIN; bien connu des Bessins. Il nous livre son témoignage sur la Seconde Guerre Mondiale qu'il a vécue presque toute entière à Betz.
Qu'il en soit encore une fois chaleureusement remercié.
L'Equipe AEC
M.Robert HENIN
ENFANT DE BETZ TEMOIN DE LA SECONDE GUERRE MONDIALE
AEC. : M.HENIN ; vous êtes natif de Betz où vous êtes né il y a 85 ans et où vous avez toujours vécu. Vous étiez enfant pendant la guerre. Vous habitiez déjà rue Beauxis-Lagrave. Quels souvenirs vous en reste-t-il ?
1. LA LIGNE CHAUVINEAU
AEC. : Que pouvez-vous nous dire du dispositif de défense de l’Armée Française ?
R.H. : Je me souviens qu’au dessus du calvaire (situé à l’intersection des routes de Crépy et de Bargny) il y avait un gros projecteur. Au sommet de la côte (à l’angle du mur de clôture de la propriété actuelle du Roi du Maroc) l’Armée Française avait construit une cabane qu’on appelait « Manon » ( ?) en flanquement de la portion de fossé antichar qui de l’autre coté de la route allait jusqu’à celle de Bargny. Je ne sais pas si les blockhaus étaient armés, à mon avis ; je ne pense pas.
AEC : Où étaient logés les soldats français ?
R.H. : Les Français étaient, les premiers, logés dans le château. Il y avait aussi des officiers chez des particuliers. Par exemple ; chez le percepteur, rue des Jardins ; il y en avait un. Un jour (peut-être un jeudi) j’étais avec des copains et on traînait dans le coin. L’un d’eux nous dit que si on avait faim, on n’avait qu’à se présenter avec une gamelle à la cantine et qu’on nous donnerait à manger. Alors on y est allé. C’était des gars qui avaient des enfants (les territoriaux). Ils étaient nombreux, il y avait pas moins de 200 bonshommes pour finir les tranchées (fossés antichars). Je ne les ai pas vu faire mais quand on allait au jardin (sur les Mortas ; pièce de terre, verger situé sur l’actuel stade), on les voyait avec ma mère et puis c’est tout, on ne traînait pas la journée. Le fossé avait, côté parc ,un plan vertical et coté plaine un plan incliné. Il y avait des poteaux pour retenir la terre. Il y avait beaucoup de main d’oeuvre pour construire les blockhaus. Je ne les ai pas vu construire, mais dans le verger que nous avions avec ma mère route de Macquelines, il y avait des bétonneuses. C’était assez simple, ils mettaient un sac de ciment et 3 sacs de gravillons, c’était pas comme aujourd’hui ! Les soldats avaient installé une petite ligne de chemin de fer (sans doute type Decauville) avec des wagonnets pour transporter les matériaux jusqu’au mur du parc où il y avait un blockhaus. Ce terrain était composé d’un carré de verger et d’un carré de terre. Des tétraèdres avaient également été installés dans la rue pour barrer l’accès.
2. L’EVACUATION
R.H. : Nous ; on était des gamins, j’avais 14 ans et je me souviens que ma mère préparait des habits pour partir, quand des gradés, des officiers arrivèrent à la maison et demandèrent à ma mère si nous partions. Elle répondit que oui, alors ils allaient installer un canon dans notre maison à la fenêtre. Ils installèrent dehors des sacs à terre. Puis on est parti. Certainement que ça n’a pas été installé .En tout cas les « Boches » approchaient.
AEC. : Où êtes-vous partis ?
R.H. : C’est un cultivateur qui nous a emmené et on est allé jusqu’à Melun. Ensuite on a pris le train et on est allé en Bretagne, au bord de la mer à Penestin. Il y avait Simon (Novakowski) qui était là aussi. Et d’autres de Betz. Après, l’Armistice a été signé et de là on est allé à Laval ?et à Malestroit. Après les « Boches » sont arrivés, on est rentrés. Mon père travaillait à Paris et il est parti en vélo jusque dans le Midi. Quand on est rentrés, la moisson était finie. On a eu des Réfugiés qui venaient du Havre et on en a même eu qui sont restés définitivement à Betz, ils y ont trouvé du travail.
3. BETZ A L’HEURE ALLEMANDE
AEC. : Que savez-vous du bombardement de la gare de Betz en 1940 ?
R.H. : Les Allemands ont bombardé et un homme a été tué sous le pont du chemin de fer ainsi qu’un cheval
AEC. : Racontez-nous les Allemands à Betz.
R.H. : Il y avait la Kommandantur chez M.Petit le notaire au début, puis ils se sont installés au Château chez Mme Vincent. Ils y sont restés jusqu’à la fin. Pour moi c’étaient des jeunes qui faisaient leur classe ici pour aller en suite en Russie ou ailleurs. Moi j’avais 14 ans et je songeai à travailler. Mme Vincent avait des jardiniers et elle m’a demandé si je voulais travailler avec un chef jardinier, alors j’ai travaillé à la résidence. Puis, il y eut d’autres jardiniers. A la mort de Mme Vincent, je suis entré chez M.Garnier jusqu’à temps qu’il arrête, puis je suis retourné travailler au Château à l’entretien du parc. Je le connais comme ma poche. Le couvre-feu était à 21h et c’était comme çà. Il y avait des patrouilles. Le pire était celui qui passait dans la rue en scooter( ?). S’il vous topait dans la rue, il n’y avait pas de pardon, vous partiez à la Kommandantur tout de suite ! Tout le monde faisait attention.
A la ferme du Bois-Milon, il y avait des « Mongols », il y en avait aussi dans le parc du Moulin, la propriété rue Beauxis-Lagrave qui campaient. (Il s’agit vraisemblablement de soldats qu’on appelait les Kalmouks (soldats réquisitionnés par les Allemands originaires d’Asie Centrale.)
AEC. : Avez-vous eu des problèmes avec les Allemands ?
R.H. : Un jour avec un copain qui travaillait comme moi au château, on est allé traîner dedans et on a pris des affaires de soldats et des bricoles .Une voiture d’Allemands qui montait vers Crépy nous a fait jeter toutes les affaires !! On était des gamins, mais je m’en rappelle encore. On a eu peur car on ne savait pas ce qui aurait pu nous arriver. Mon père, qui était serrurier, a été appelé par un officier pour qu’il ressoude sa croix de guerre. Le jour dit, il ne l’a pas fait ; le lendemain non plus. L’officier lui dit que si le surlendemain elle n’était pas faite c’était pour lui la Kommandantur. Alors il l’a faite.
AEC. : Est-ce qu’on pouvait circuler librement ?
R.H. : Oui, admettons que vous vouliez aller à Crépy à pieds ; les « Boches » ne vous arrêtaient pas. Ou alors s’ils avaient des doutes.
4. LA LIBERATION DE BETZ ET LES AMERICAINS
AEC. : Parlez-nous des Américains.
R.H. : Je me rappelle les avoir vus arriver. C’était un lundi matin ! Ils sont arrivés par Acy, il était environ 10h du matin. Il y avait 2 petits tanks allemands dans la rue et un camion au château qui partaient et peu après les Américains arrivaient. Les chars (allemands ? Américains ? ) en manoeuvrant après l’église dans la rue Beauxis-Lagrave avaient leur canon qui touchaient les murs des maisons. A coté il y avait la maison de Gaston Pénot le peintre. Les Américains ont succédé aux Allemands à la propriété et sont restés jusqu’en 1945 (?)
Je me souviens que les Américains avaient fait une démonstration avec du matériel. Ils avaient eux aussi installé un projecteur sur la route de Crépy en face l’ancien château d’eau (fourche route de Macquelines ?).La nuit ; lorsqu’un avion passait, un soldat déclenchait le projecteur qui avait une forte intensité et qui illuminait tout. On voyait alors très bien l’avion. Il n’a pas cherché longtemps, il était tout de suite éclairé. Il y avait un camion avec une génératrice et ce phare énorme. Pour moi c’était une démonstration des Américains.
A la gare, c’était certainement leur dépôt de ravitaillement, ils avaient du réquisitionner la halle de la gare, du moins je pense que ça devait être comme ça. Je me souviens aussi que sur le bord de la route de Crépy, il y avait des stocks d’obus disposés là. J’en avais récupéré un ! Il y en avait aussi sur la route de Bargny et de la poudre même. On en a fait sauter un, les flammes ont failli toucher les lignes à haute tension ! Plus loin, il y avait une caisse avec des amorces dedans dans des petites boîtes de conserve. Toutes les munitions (qu’ils ne voulaient pas ramener en Amérique ?) ils en avaient fait un dépôt dans un blockhaus. Des fois le dimanche on y allait traîner. Puis, ils ont fait sauter le blockhaus.(Ce blockhaus se trouve à l’entrée du bois en allant de Betz à Lévignen. Un chemin forestier y accède sur le coté gauche en face la petite route menant à Bargny sur la droite).C’étaient des prisonniers allemands qui devaient faire ça. Du temps des Américains, il y avait à la propriété un jardinier « boche » avec lequel j’ai travaillé, il faisait des légumes, certainement pour le camp de Gondreville. M.Clément de la Ferme du Bois Milon donnait de la terre pour la propriété. Dans les « boches », il y avait aussi des mécaniciens. Il y avait 2 gros camions de prisonniers qui venaient à Betz. Il y avait toujours quelque chose à faire, des camions à réparer. Le plus drôle c’est que certains prisonniers montaient la garde au château avec une matraque !
En effet, les Américains avaient un camp à Gondreville .Un grand camp. Je ne sais pas où précisemment. Je ne l’ai pas vu.
AEC. : Y a-t-il eu des Résistants à Betz ?
R.H. : Non, par contre à Lévignen oui.
AEC. : Le ravitaillement est-il difficile ?
R.H. : Vous savez, nous, on avait notre jardin. Puis, on allait dans des fermes acheter du blé qu’on broyait dans le moulin à café. A la campagne, on arrivait mieux à se débrouiller qu’en ville.
AEC. : Finalement en restant à Betz, vous avez vu successivement les Français d’abord, puis les Allemands et enfin les Américains !
Propos recueillis en 2013